À Hetzel.

Hauteville-House, 12 septembre [1859].

Je reçois votre lettre. Notre excellent et cher Parfait est parti (pour un motif d’ailleurs sacré et inattaquable) dans le moment le plus funeste. C’est la dernière qui est l’heure suprême ; à ce moment-là, habituellement tout le monde est à son poste, chacun a quelque fonction importante à faire dans l’ensemble, un fil cassé compromet tout. Or, c’est précisément (entre autres inconvénients) le fil entre vous et moi qui est cassé par l’absence de Parfait ; vous ne me donnez pas votre adresse à Spa ; je vous y envoie pourtant, à l’aventure, cette lettre directement, comptant sur le bon Dieu pour qu’elle vous parvienne. Le fils de Parfait qui ne m’envoie même pas les bonnes feuilles qu’il reçoit pour moi de Paris, m’inspire moins de confiance encore que le hasard.

Vous vous récriez de ce que j’ai dit que vous aviez peu de foi en ce livre. Mais avoir peu de foi en un livre de moi, ce n’est pas un tort, c’est tout au plus un inconvénient pour l’édition. Quant au fait en lui-même, je le crois exact. Et pourquoi ? Le savez-vous ? C’est que vous êtes très effaré de la chose du monde la plus simple. Vous m’annoncez avec anxiété que ce livre sera attaqué. Qui en doutait ? Furieusement. Pardieu ! Quel est celui de mes livres qui n’a pas été un combat ? Les moins mauvais sont les plus déchirés. Vous me dites de m’attendre à ceci : ce livre est républicain, la presse absolutiste l’attaquera ; ce livre est libre-penseur, la presse catholique l’attaquera ; ce livre est honnête, la presse bonapartiste l’attaquera. Vraiment ! croyez-vous ? Quoi ! Je glorifie le droit, la liberté, la raison, Pontmartin ne dira pas amen ; je guerroie le despotisme, Grosguillot ne se prosternera pas ! Je dis son fait au papisme, Veuillot ne baisera pas le talon de ma botte ! Eh bien, non, cela ne m’étonne pas. Vous me dites, en frémissant, de m’y attendre. Je m’y attendais. J’écrirais d’avance les articles qu’on fera : hideux ! monstrueux ! absurde ! criminel ! abominable ! barbare ! et qui plus est, usé, banal, ennuyeux, assommant, mort. Voilà les épithètes. Le reste est affaire de style et d’arrangement.

J’ajoute que le parti du passé en littérature, prêtera main-forte au parti du passé en politique. Or rien de tout cela ne m’effraie. Parfait est démoralisé comme vous, je le regrette, parce que la veille du combat, on voudrait n’avoir que des auxiliaires confiants dans la victoire. Mais qu’y puis-je faire ? Je serai mollement défendu, dites-vous. Ah ! ceci vous regarde un peu, vous, vous surtout, mon éditeur, qui êtes en même temps un critique profond à ses heures et un écrivain charmant toujours. Aussi j’avoue franchement que je vous aimerais mieux en ce moment à Paris qu’à Spa.

Tenez, je n’attache, vous le savez, je le crois, qu’un prix médiocre à l’effet du moment. Un livre finit toujours par avoir, en gloire ou en oubli, ce qu’il mérite. Le succès du moment regarde surtout l’éditeur et dépend aussi un peu de lui. Quant aux attaques, c’est ma vie quant aux diatribes, c’est mon pain !

Je trouve très bon votre plan de distribution des citations ; communiquez-le à Meurice. Sans nul doute, vous serez d’accord.

Quant au coup de boulet à vide, je le regrette comme vous. Je suis de votre avis, en tout cas, une pièce suffisait. Voici une lettre de Claye qui explique la hâte. Tout cela, du reste, n’a pas marché comme vous, Meurice et moi l’aurions désiré. C’est à réparer.

Quant à la couverture pour Bruxelles, mettez mon catalogue à moi sur le verso du tome Ier et votre catalogue pour l’étranger sur le verso du tome II. J’avais dit qu’on me l’envoyât. Je regrette de ne pas l’avoir reçue. Veillez, je vous prie, à ce que la couverture de Paris soit comme je l’ai indiquée.

Le 16 vous convient pour la publication. Il me convient aussi. Nous sommes, quant à l’amnistie, tout à fait d’accord. Je n’ai parlé qu’en ce qui me concerne, le 16 août, ne voulant engager personne que moi. Mais je compte bien revenir sur cette énormité. Allons, bon courage, et en avant ! Lutter,

c’est vivre.

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