À Hetzel.

Hauteville-House, 24 septembre [1859].

Je reçois votre lettre du 22 datée de Valenciennes. Elle contient une plainte à laquelle je m’attendais. Il y a mieux. Je vous avais prévenu que vous y arriveriez. En juin dernier, quand une première bévue, la bévue du format, fut faite, vous absent, par l’imprimeur belge, quand vous me suppliâtes, ce fut votre mot, de consentir à ce que, pour utiliser cette bévue, le tirage convenu de 3 000 in-18 fût remplacé (en Belgique) par un tirage de 1 500 in-8°, je vous écrivis (relisez mes lettres) qu’avec des expédients de cette nature vous annuliez, à votre préjudice (et au mien par contre-coup) les bénéfices de l’affaire ; que l’in-8° était un mauvais format en Belgique, laissant le champ libre à la contrefaçon, aboutissant à une affaire blanche sur le marché étranger. Malgré mes observations, vous voulûtes passer outre. Plus tard, quand vous obtîntes de ma stupidité le consentement à la non-correction des épreuves parisiennes, je vous dis que cela se solderait par des cartons, par des retards, par des faux-frais, etc… et que, ces faux-frais à Paris ajoutés à la perte du marché étranger, grâce à l’in-8° belge, finiraient par rendre nulle une affaire qui eût pu et qui eût dû être bonne. Encore de ceci, vous n’avez tenu nul compte. Aujourd’hui, vous commencez à voir les conséquences des fautes faites malgré toutes mes observations (et je ne les énumère pas toutes. Voir mon avant-dernière lettre) et vous me renvoyez sous forme de plaintes mes propres prévisions. Hélas ! vous me donnez raison. Voilà tout.

Maintenant, que voulez-vous que j’y fasse ? Faut-il ajouter à toutes les fautes faites la faute suprême ? Celle de laisser paraître ce livre tatoué d’incorrections, de vers faux, de rimes manquantes, de non-sens et de contresens ? Ici, je dis que je ne le veux pas. Et j’ajoute que vous ne le voulez pas. Cette résolution dût-elle pousser a bout la patience de M. Claye. J’avoue qu’il y a eu pour moi quelque surprise à apprendre que je devais compter avec la patience ou l’impatience de mon imprimeur. Il m’a semblé que, jusqu’à ce moment, le patient c’était moi. Tout bien considéré, voici mes conclusions : si l’affaire de La Légende des Siècles est mauvaise pour vous, nous nous en tiendrons là. Si, par miracle, elle est bonne ou passable, et que cela vous convienne, nous en referons d’autres. Seulement, nous tiendrons note des fautes faites pour n’y plus retomber. Je répète ici ce que disait mon avant dernière lettre, en somme, la grande coupable, c’est la distance. Vous à Paris, les trois quarts des mauvaises chances où nous nous sommes heurtés, s’évanouissent.

Je sens que votre lettre du 22, quoique prévue, m’a attristé. Épictète dit à Épaphrodite : tu vas me casser la jambe quand il eut la jambe cassée. Épictète ne fut pas gai. Cependant, vous vous tromperiez si vous croyiez qu’il y a en moi autre chose que le sentiment le plus sympathique pour votre charmant esprit et le plus cordial pour votre noble nature.

Votre ami quand même.

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