À Paul Chenay.

31 mars [1860].

Au moment où vous recevrez ce mot, mon cher et excellent beau-frère, vous aurez vu Paul Meurice et il vous aura lu ma lettre d’avant-hier. J’ai dû vous dire la vérité et vous avez certainement compris que je ne pouvais vous donner une plus grande marque de mon amitié. Je connais votre courage et à l’heure qu’il est vous vous êtes encore mis à l’œuvre pour refaire le portrait, car il n’y a en effet pas de temps à perdre. — Tout le mal est venu de ce que vous n’avez pas eu, à Paris, le modèle sous les yeux. Je vous l’envoie, vous trouverez sous ce pli une très belle épreuve de la photographie à reproduire. Voilà ce qui est digne d’être étudié et scrupuleusement rendu par votre souple et habile burin. Fac-similé, tout est là. La dimension et le fond importent au plus haut point. Ce n’était pas une chose heureuse que cette figure perchée comme dans un coin, au-dessus de la signature. Faites une belle œuvre cette fois. Cela vous est facile ; je dis plus, cela vous est naturel.

Courage! à bientôt, à toujours. Je vous embrasse fraternellement.

Victor H.

P. S. Nous allons vous rendre Julie, c’est avec un grand regret. Vous et elle, vous nous semblez désormais le complément gracieux et charmant de

Hauteville-House.

À Paul Meurice.

Dimanche 7 avril [1860].

C’est Pâques, et c’est à vous que je veux chanter une litanie : oui, vous êtes admirable et charmant et bon, et toutes les épithètes de Mad. de Sévigné. Quelle foi il faut avoir en vous pour vous demander de si délicats services ! Bigre ! quelle ambassade en effet ! total : je vous aime bien.

Tout ce que vous désirez a été fait ou sera fait. Au moment où je recevais votre lettre, Chenay recevait de moi la lettre que vous souhaitiez. Dieu sait combien est profond mon intérêt pour lui, et combien je lui suis cordialement attaché. Comme vous le sentez et comme vous le dites, supprimer le portrait mal venu (il y a des choses mal venues peut-être dans l’œuvre même de Dieu) c’était un service qu’il fallait lui rendre. Il a compris, et il a fait résolument ce que j’attendais de son talent, de son intelligence et de son courage ; tout est bien. Je me charge d’Hetzel. Rien ne sera changé au traité ni aux paiements. J’en fais mon affaire. Seulement il est de la plus haute importance pour les opérations de Hetzel que Chenay livre le portrait fin mai. Soyez assez bon pour lui dire cela. Vous pouvez lui lire tout ce paragraphe de ma lettre. Il y a pour le pendu l’unanimité qu’il y avait contre le portrait. On m’écrit de tous côtés que la gravure est admirable, que c’est un vrai fac-similé, et que, comme vous dites, l’effet est saisissant. Félicitez bien, je vous prie, Chenay et dites-lui que j’attends sa belle œuvre avec impatience.

Le mauvais temps et la semaine sainte ont retardé notre chère petite Julie, elle partira cette semaine avec M. Busquet. M. Busquet est un charmant homme qui nous laisse le plus agréable souvenir. Il a quelque envie de se fixer un peu ici ; il lorgne les cottages, marchande les maisons, etc. Je serais charmé qu’il réalisât cette bonne idée.

Et vous ! c’est vous que j’attends ! c’est vous que nous appelons tous ! vous et votre charmante femme dont j’ai en ce moment un ravissant petit chef-d’œuvre sous les yeux, l’infante. Je connais cette infante-là, et cela m’enchante. Venez vite avec madame Meurice. Elle nous apportera la joie, nous lui rendrons la santé. Je suis convaincu que le printemps attend votre arrivée pour venir. Les esprits comme le vôtre ont des intimités avec l’azur et des intrigues avec le soleil.

Voici deux lettres. Est-ce que vous voudrez bien vous en charger ? — Indulge amico. Crux nova est évidemment la meilleure exergue ; cependant il ne faut pas hésiter à mettre celle qui ne fera pas obstacle. Quant au mode de lancement de la gravure John Brown, tout ce que vous me dites me paraît excellent. Faites pour le mieux. Vous ne pouvez vous tromper.

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