À Monsieur Heurtelou, rédacteur du Progrès à Port-au-Prince (Haïti).

Hauteville-House, 31 mars 1860.

Votre lettre m’émeut. Vous êtes, monsieur, un noble échantillon de cette humanité noire si longtemps opprimée et méconnue. D’un bout à l’autre de la terre, la même flamme est dans l’homme, et vous êtes un de ceux qui le prouvent. Y a-t-il eu plusieurs Adams ? Les philosophes peuvent discuter la question, mais ce qui est certain, c’est qu’il n’y a qu’un Dieu. Puisqu’il n’y a qu’un père, nous sommes frères. C’est pour cette vérité que John Brown est mort ; c’est pour cette vérité que je lutte. Vous m’en remerciez, et je ne saurais vous dire combien vos belles paroles me touchent. Il n’y a sur terre ni blancs, ni noirs, il y a des esprits ; vous en êtes un. Devant Dieu, toutes les âmes sont blanches.

J’aime votre pays, votre race, votre liberté, votre république. Votre île magnifique et douce plaît à cette heure aux âmes libres ; elle vient de donner un grand exemple : elle a brisé le despotisme.

Elle nous aidera à briser l’esclavage. Car l’esclavage disparaîtra. Ce que les États du Sud viennent de tuer, ce n’est pas John Brown, c’est l’esclavage.

Dès aujourd’hui, l’union américaine peut être considérée comme rompue. Je le regrette profondément, mais cela est désormais fatal. Entre le Sud et le Nord il y a le gibet de Brown.

La solidarité n’est plus possible. Un tel crime ne se porte pas à deux. Continuez votre œuvre, vous et vos dignes concitoyens. Haïti est maintenant une lumière. Il est beau que, parmi les flambeaux du progrès éclairant la route des hommes, on en voie un tenu par la main du nègre.

Votre frère.

Victor Hugo.

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