À Crémieux.

Braine-l’Alleud, 28 mai 1861.

Cher ami, je reçois votre lettre du 25 mars ; mais je la reçois aujourd’hui seulement 28 mai. Le 25 mars, je quittais Guernesey, malade et allant un peu respirer un air nouveau ; depuis deux mois je vais de ville en ville, je cours les aventures de la convalescence, et votre lettre si charmante et si bonne ne me réjouit qu’aujourd’hui. Elle me touche profondément. Vous n’êtes pas seulement l’homme éloquent et puissant ; vous êtes l’homme excellent. Vir bonus… et tout le reste de la définition. Je ne saurais vous dire à quel point je vous aime, à quel point nous vous aimons tous. Moi, votre client, et mon fils Charles, votre autre client, nous parlons de vous sans cesse. Pas une voix n’est plus éloquente que la vôtre ; pas une âme n’est plus fière. Cela doit être, du reste : l’âme est la source de la voix.

Ma santé est rétablie. Avant peu, je retournerai à mon rocher. Si jamais une bonne étoile vous y amenait, ô mon cher hôte, comme je serais heureux de vous recevoir dans ma masure ! Ce serait pour tous les proscrits une fête, et vous réjouiriez l’exil comme vous consolez la patrie.

Mettez aux pieds de votre fille la signature qu’elle veut bien désirer. J’ai cherché longtemps, pour l’écrire au bas de ce portrait, une phrase qui dît tout ce dont mademoiselle Crémieux peut être bien fière, et j’ai fini par la trouver. La voici :

À la fille de Crémieux.

Je vous serre la main, mon noble et généreux ami.

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