À François-Victor.

Braine-l’Alleud, 20 mai [1861].

Cher fils, je n’ai pas encore de lettre de toi. Je pense que tout va bien à Hauteville-House. Je sais par Mlle Loisel qu’Adèle est à l’île de Wight. Quant à toi, tu travailles comme un petit aigle. Shakespeare et moi, nous te bénissons, cher enfant.

Je suis ici près de Waterloo. Je n’aurai qu’un mot à en dire dans mon livre, mais je veux que ce mot soit juste. Je suis donc venu étudier cette aventure sur le terrain, et confronter la légende avec la réalité. Ce que je dirai sera vrai. Ce ne sera sans doute que mon vrai à moi. Mais chacun ne peut donner que la réalité qu’il a. Du reste, je ne sache rien de plus émouvant que la flânerie dans ce champ sinistre.

Je vois de plus en plus quelle distance il y a, quel abîme, entre Napoléon-le-grand et Napoléon-le-petit.

Charles est resté à Bruxelles, mais grâce au chemin de fer, Bruxelles et Waterloo se touchent. Je me cache ici, afin de pouvoir travailler tranquille ; Charles me garde le secret de ma retraite ; si l’on me savait à Waterloo, j’y serais assiégé de curieux, les plus bienveillants du monde, c’est vrai ; mais je ne pourrais rien faire.

Avant de quitter Bruxelles, j’ai envoyé à Rotterdam pour le prochain voyage du Windham trois nouvelles caisses très précieuses. Si le capitaine Alcock est encore à Guernesey au moment où tu recevras cette lettre , vois-le, je te prie, le plus tôt possible, et dis-lui qu’en arrivant à Rotterdam, il trouvera chez MM. Hudig et Pieters trois nouveaux colis à moi marqués V.H. 5, V.H. 6, V.H. 7. Recommande-les-lui bien fort. Il y a de la poterie chinoise, du Céladon, de la porcelaine. Je pense que les quatre premiers colis sont en ce moment à Guernesey. Fais placer tous ces colis dans l’ex-chambre d’Auguste. Si tu vois madame Engelson, dis-lui qu’il y a à cette heure à Bruxelles une très charmante et très jolie femme de Paris, madame Doche, laquelle lui ressemble si fort, que l’autre soir je disais en sortant du théâtre : Madame Engelson a joué ce soir à merveille.

Nous allons voir ces jours-ci le Je vous aime de Charles. Quel temps avez-vous à Guernesey ? Ici, bise et brouillard. Janvier en mai. Il fait très froid et je t’écris pour me réchauffer. Mes meilleures amitiés à MM. Kesler et Duverdier.

V.

Dis à Marie et à Rosalie que je compte sur leur zèle et sur leurs bons soins pour la maison. Bonjour à Chougna.

Écris-moi à Braine-l’Alleud, près Waterloo, poste restante.

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