À Paul Meurice.

Dim., H.-H.

Bruxelles, cela est facile à dire. Mais rendez-vous compte de ce que je fais ici. Le matin, de sept à onze heures, je revois mon manuscrit, car j’y travaille jusqu’à la dernière minute, et encore çà et là des choses m’échappent ; l’après-midi, de deux heures à six, pendant que deux femmes, deux dévouements, copient et collationnent sans relâche leur copie, moi je revise ce qu’elles ont collationné, puis je classe et je divise ce qui sera la copie définitive sur laquelle on imprimera ; le soir, de huit heures à minuit, je corrige les épreuves, quelquefois jusqu’à six feuilles par jour, et j’écris les lettres. Pas une poste ne part sans un envoi de moi. Maintenant, aller à Bruxelles, emporter un volume in-folio de notes manuscrites et autres éparses sur une immense table, les empaqueter, les reclasser et les dépaqueter là-bas, emmener les deux copistes, car les remplacer, impossible, il faut dévouement et discrétion, et on n’a pas cela pour de l’argent, emporter le manuscrit qui a déjà assez hasardeusement passé l’an dernier quatre fois la mer, surtout le laisser manier par l’abominable douane anglaise. Pour tous ces arrangements et dérangements, au moins huit ou dix jours perdus. À Bruxelles, tout mon entrain envolé, au lieu de ma solitude, cinquante visites par jour, forçant ma porte, et quelques-unes fort bonnes et fort nécessaires, redoublement du tourbillon de lettres, plus d’isolement, plus de concentration, les épreuves allant peut-être un peu plus vite, et encore ! (La copie est excellente. On peut m’envoyer ici des épreuves sans faute. Les deuxièmes épreuves pourraient être évitées avec plus de soin dans la correction première en Belgique). Vous voyez que le voyage de Bruxelles irait droit contre le but. J’ajoute que mon mal de gorge chronique s’en accommoderait fort mal.

Enfin, mon doux et admirable ami, Charles ! Eh bien, est-ce qu’il ne vaut pas mieux pour lui venir ici ? Le drame à faire l’y amènera nécessairement et il y a chance que Hauteville-House le retienne. Si je suis à Bruxelles, il y vient, y passe huit jours, et repart pour Paris. Charles est donc encore une raison pour que je n’aille point à Bruxelles et pour que je reste ici. Communiquez ceci à Auguste et à ma femme, et dites-vous bien que j’ai tout pesé et que je suis dans le vrai en restant ici. Quant à l’affaire épreuves, la seule qui tient au cœur des éditeurs belges, il dépend d’eux de corriger en première de telle façon que je n’aie que du bon à tirer à leur envoyer. Et puis enfin vous à Hauteville-House, c’est ma récompense et ma fête ! Ne me l’ôtez pas.

Je vous envoie ci-joints trois petits messages, Charles, Deschanel, Cerfbeer. (Mon portrait. Je lui écrirai après l’article qu’il m’annonce).

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