À George Sand.

Hauteville-House, 17 mai 1864.

Il est évident qu’étant si grande, vous devez être charmante. La grâce est une forme de la puissance. Vous le prouvez dans toutes vos œuvres, vous le prouvez dans les pages exquises et superbes que je viens de lire. Un ami me les envoie. Il est plus mon ami à dater d’aujourd’hui.

Je vous lis, je lis cette magnifique et noble lettre, elle est écrite sur moi, et il me semble qu’elle est écrite à moi. Je suis profondément ému. Quelle idée de génie d’avoir mêlé la nature à ce livre, de raconter votre vie au village en même temps que l’art et la science, et de faire entendre çà et là, à travers les grandes choses que vous dites, des bruits de feuilles et des chants d’oiseaux ! Dante dicte une page, Virgile l’autre. C’est l’enchantement dans la force. Ah ! Circé ! Ah ! George Sand !

Je suis bien content d’avoir fait ce livre-là, puisqu’il vous a fait plaisir. Vous m’aimez donc un peu. ? Vrai ? Eh bien, c’était une de mes ambitions.

Je suis très ambitieux. Je voudrais vous voir. C’est encore là mon rêve. Quel beau portrait vous m’avez envoyé ! Que de beauté, de dignité et de douceur grave ! N’ayez pas peur, je suis un vieux bonhomme, et voici mon portrait qui le prouve. Je voudrais être quelque part, dans un petit coin du monde, soit à Nohant, soit à Guernesey, soit à Caprera, avec Garibaldi et vous ; nous nous entendrions. Il me semble que nous sommes trois bonnes créatures de ce temps-ci. C’est bien dommage que Nohant me soit défendu. On me dit que je suis un proscrit volontaire. Parbleu ! c’est pour cela que je suis enchaîné. Si je n’avais à craindre que Cayenne, j’irais en France quand bon me semblerait.

Votre lettre cause, en même temps elle enseigne, en même temps elle chante, en même temps elle songe. La vaste nature se reflète tout entière dans une ligne de vous comme le ciel dans une goutte de rosée. Vous avez des échappées sur l’infini, sur la vie, sur l’homme, sur la bête, sur l’âme. C’est grand. Quand il y a un philosophe dans une femme, rien n’est plus admirable ; les côtés profonds sont touchés en même temps que les côtés délicats. Je suis de ceux qui veulent que le cœur pense. Vous êtes ce cœur-là. La conversation d’accord, c’est la conversation que j’aime ; nous l’aurions ensemble, je le crois ; nos points de rencontre sont nombreux. Voilà que je me vante ; souriez et pardonnez-moi.

Vous ne vieillirez jamais, vous. Vous êtes ineffablement gracieuse. Pendant que Paris vous applaudit et vous adore, vous vous faites au fond des bois un petit oubli pour vous toute seule, et vous vous pratiquez un recoin d’ombre dans la gloire. Il y a des nids pour les âmes comme pour les oiseaux. En ce moment, votre âme est au nid. Soyez heureuse autant que vous êtes grande.

Je ferme ma lettre pour relire la vôtre. On me dit que mon livre a des envieux, je le crois bien, j’en suis un ; il a voyagé avec vous, je suis jaloux de lui.

Je me mets à vos pieds et je baise vos mains.

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