À Philippe Burty.

H.-H., 20 janvier 1868.

J’ai la bête.

Elle est superbe. Le japonais est le Barye du crapaud. Quel sculpteur ! Venez donc un de ces jours dans mon île voir quel bel effet fait ce monstre à côté de l’autre monstre l’Océan.

Merci con todo el mio corazon.

Victor Hugo.

À Paul Meurice.

H.-H., 23 janvier.

Cher Meurice, mon avis le voici :

Rothschild et Pereire seuls peuvent se risquer à faire un journal politique. La situation de la presse va être pire qu’auparavant. Au régime sans frais succède le régime avec frais. On n’était qu’averti, on sera condamné. On n’avait à craindre qu’un commis, on aura à craindre un juge. Le pire valet, c’est le juge. On sera supprimé, plus ruiné. Je ne comprends pas la gauche, qui vote cette loi. Au reste, il n’y a qu’un cri parmi nous proscrits. La gauche devrait protester en masse contre cette trahison qui s’intitule progrès. Il n’y a de possible (et encore !) qu’un journal littéraire. — J’ai reçu la quittance des 618, je ne tirerai sur vous qu’avec discrétion. Comment vous dire à quel point je vous aime.

V.

À Auguste Vacquerie.

H.-H., dim. 26 [janvier 1868].

Dites à ma bien-aimée souffrante, je vous prie, cher Auguste, que si elle n’a pas peur d’une traversée de mer, Guernesey lui tend les bras. Sa lectrice de Chaudfontaine lui lira tant qu’elle voudra. Julie écrira sous sa dictée, et moi je ferai tout ce qui pourra l’égayer et la distraire. Le printemps aidant, la santé reviendra. Si elle craint la mer, (un peu dure en effet en ce moment) je hâterai le moment de la réunion à Bruxelles. Et de celle-là vous serez, j’espère. Et quelle joie d’entendre Faust ! — Que vous êtes admirable pour Hernani ! — Merci, merci , merci. Pardonnez-moi ce rabâchage. — Garibaldi m’a répondu. En vers. En vers français. J’ai sa lettre tout entière de sa main. Il est difficile de la publier à cause des fautes de versification dont les brutes de l’Univers-Veuillot triompheraient. La difficulté est tournée par ce que je vous envoie. Soyez assez bon pour vous charger de transmettre ces épreuves. Les journaux feront ce qu’ils voudront. J’ai envoyé directement à M. J. Claretie.

Rendez-moi, cher ami, le service de m’envoyer le Petit Figaro du jeudi 23. Victor me dit qu’il est fait pour moi, et justement je n’ai pas reçu ce numéro-là. J’ai le 22 et le 24. Pas le 23. — Le théâtre Thierry-Vaillant-Doucet enterre Hernani après une recette de 6 000 fr. C’est Tartufe mettant son chapeau sur la tête. — C’est à vous d’en sortir. — Cher Auguste, je suis à vous du fond du cœur.

V.

Voudrez-vous couper ces quatre lignes pour ma femme.

Chère bien-aimée, Auguste te lira ma lettre. Tout ce que tu voudras sera fait. Je ne veux qu’une chose, que tu sois gaie, heureuse et bien portante. — Tels sont les ordres du tyran. Je t’aime profondément et je te serre dans mes bras.

À Jules Claretie.

H.-H., 26 janvier.

Merci, mon cordial confrère, pour cette nouvelle page éloquente et charmante. Vous aurez votre dessin. Voulez-vous me le voir faire ? Venez, un des beaux jours de ce printemps, quand je serai à Bruxelles, déjeuner et dîner avec moi place des Barricades. Dans l’intervalle, je ferai sous vos yeux votre dessin, que vous me paierez d’un serrement de main. Vous voyez que je suis très intéressé.

Chose curieuse et qui m’a charmé, Garibaldi m’a répondu en vers, et en vers français. Si vous croyez que quelque chose de ce fait remarquable puisse être publié dans l’Opinion nationale, je vous envoie, ci-inclus, l’extrait des journaux anglais.

Et encore merci. Ex imo.

Victor H.

À Charles. À François-Victor.

H.-H., dimanche 26 [janvier 1868].

Chers enfants, malice de la tempête. La poste n’arrive qu’aujourd’hui dimanche. Je vous ébauche tout de suite une réponse. À mardi une plus longue lettre. 1° Mme Atwood a payé Kesler. Un draft de 1 250 fr. Je vous l’avais écrit. Voyez mes lettres. Vous pouvez travailler, ce me semble, pour elle. Mais faites bien votre traité. Stipulez tout. C’est important avec les Anglais et les Américains. — 2° Précisément, le Petit Figaro du jeudi 23 ne m’est pas arrivé. J’ai eu celui du 22 et celui du 24. Je prie Victor de m’envoyer par le retour du courrier le n° du 23 pour que je lise l’article de Duchesne sur Ponsard, dont il me parle. — 3° Madame Drouet, heureuse de son Almanach, embrasse maternellement Victor sur les deux joues. — 4° J’ai reçu une lettre excellente de Frédérix. Ne vous brouillez pas. Il y a entre vous, Bérardi, Frédérix, quelque malentendu qu’il faut éclaircir. J’arrangerai cela à Bruxelles. Ne laissez rien s’envenimer. L’invitation du 20 février vous sera faite, sans doute.

Votre chère mère va toujours à peu près de même. Les nouvelles d’Auguste et de sa mère varient peu. Je suis attristé du peu de progrès que fait le mieux. (À propos, avez-vous envoyé les 150 fr. à Laussedat pour votre mère ?)

Garibaldi m’a répondu, chose curieuse, en vers français, (difficiles à publier à cause des fautes de versification dont les Veuillot et autres idiots triompheraient). Heureusement, la traduction anglaise, que je vous envoie, suffit. Vous trouverez sous ce pli la chose, plus mon accusé de réception. Voyez si cela conviendrait à l’Étoile belge. Je l’envoie directement à M. Bérardi, en l’engageant à n’en rien publier. — L’Étoile ne publierait que le fait et non la lettre.

J’ai bien peu de temps pour poser. Cependant, quand je serai à Bruxelles, nous reparlerons du jeune sculpteur de Hal. Avez-vous vu quelque chose de lui ?

Hauteville-House est encombré de visiteurs. L’Angleterre se met à m’adorer. Lettres, journaux, etc., pleuvent. — Tout ceci vous intéresserait. — Je vous serre dans mes bras, mes bien-aimés.

À Madame Victor Hugo.

H.-H., 6 février.

Chère bien-aimée, vite un mot de réponse à ta douce lettre. Je n’ai encore rien reçu de M. Axenfeld ; rien ne m’arrive qu’après quarantaine. Dès que j’aurai son travail, je lui écrirai. Je connais son haut mérite et sa grande intelligence. Dis-le lui. J’embrasse mon charmant docteur Allix ; c’est moi qu’il guérit en me donnant de bonnes nouvelles de toi. Une troupe d’acteurs errants est venue ici me donner une représentation d’Hernani. Entre quatre murs, sans décor, sans rien, comme on jouait Shakespeare il y a deux cents ans. Je me suis vu dans la charrette de Thespis. Du reste, foule guernesiaise, sixty, criant Hurrah pour Hugo, acclamations. — Tu verras la Gazette. Je n’ai plus que la place de te serrer dans mes vieux bras.

V.

À Paul Meurice.

H.-H., 6 février.

Oui, mettez ces oiseaux en frontispice aux Chansons des rues et des bois. Cela exprimera un des côtés du livre. Voilà plus d’un mois que je veux vous écrire, et les heures s’en vont pêle-mêle sans que je puisse faire ce qui me plairait le plus. C’est inouï à quel point ma solitude est un tourbillon. Si vous lisiez les deux cents lettres que je reçois par semaine, vous seriez stupéfait. Voudrez-vous remettre à ma femme ce mot pressé. Pardon et merci. Voudrez-vous dire à Auguste que je vais lui écrire. Je vous envoie, ainsi qu’à lui, pour vous demander conseil à tous deux, l’extrait de la Gazette de Guernesey sur Hernani, joué ici. Croyez-vous qu’il faille mettre cela dans les journaux de Paris. Décidez et faites. Avez-vous pensé aux 618 fr., annuité de l’assurance de la rue Ménars ? Que de choses encore à vous dire ! Je vous aime profondément.

V.

À Jules Simon.

Hauteville-House, 14 février.

Mon éloquent et cher confrère, vous avez magnifiquement parlé de Ruy Blas. Un ami m’envoie le Moniteur du 11 février, et je vous écris, ému. Je ne vous remercie ni ne vous félicite. On ne remercie pas la conscience, on ne félicite pas la lumière. Vous avez en vous votre triomphe.

Je tiens seulement à vous dire que je suis profondément votre ami.

Victor Hugo.

Mettez tous mes respects et tous mes hommages aux pieds de madame Jules Simon.

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