Aux Membres de la Ligue internationale de paix et de liberté.

Hauteville-House, 10 janvier 1868.

Je suis avec vous ; seulement je ne dis pas paix et liberté, je dis liberté et paix. Commençons par le commencement. D’abord la délivrance, ensuite l’apaisement. Mais dès aujourd’hui, alliance.

Victor Hugo.

À Jules Brisson.

Hauteville-House, 12 janvier.

Mon éloquent et courageux confrère, vous me comprenez et je vous comprends. Nous sommes, vous et nous, sur la brèche, vous en dedans, nous en dehors. Vous luttez dans le relatif, nous dans l’absolu ; et tous nous sommes utiles. Nous combattons le grand combat.

Jungamus dextras, gladium gladio copulemus.

Hélas ! ma propagande est nulle. Je suis un solitaire pour de vrai. Je ne puis guère dire du bien de votre excellent journal qu’à l’océan, mon vieux camarade, mais je vous promets de le faire, et peut-être, comme dit Virgile, les vents vous en porteront-ils quelque chose.

Cordial shake-hand.

Victor Hugo.

À Jules Claretie,
aux bureaux de l’Opinion nationale.

H.-H., 14 janvier.

Vous avez raison, mon éloquent et loyal confrère, votre réclamation, arrivée à temps, eût fait reculer le Théâtre-Français, et maintenu Hernani sur l’affiche. Aujourd’hui le théâtre, ayant honte bue, fera la sourde oreille. Mais le public, non. Vous prenez acte hautement de la lâcheté commise, du dol et du vol, de cette petite turpitude jésuite étranglant Hierro entre deux portes. Qui est maître aujourd’hui dans la maison de Molière ? c’est Tartufe. Il s’appelle Édouard Thierry, a fait ses Pâques entre deux portants, recevant de Dupanloup l’hostie, et de Rouher le mot d’ordre. Je vous remercie de flétrir ça, et je suis certain que, puissant comme vous l’êtes par la conviction et le talent, vous continuerez. Je vous ai écrit sur votre beau livre les Derniers Montagnards. Avez-vous reçu ma lettre ? Je vous ai fait des envois. Vous sont-ils arrivés ? Vous en trouverez encore un dans cette lettre, au verso ci-joint, si le cabinet noir n’intervient pas. Je suis un pestiféré, je suis en quarantaine, la police crible mes lettres, la poste vole l’argent de mes timbres-poste, depuis deux mois j’ai dépensé deux cents francs en stamps, et il n’est pas arrivé de mes messages à mes amis pour dix francs ! Telle est l’honnêteté du gouvernement dit impérial. C’est égal, je vous aime de tout mon cœur.

Victor Hugo.

À François-Victor.

H.-H., 16 janvier.

Victor, tu ne lis plus les journaux anglais. J’y suis passé à l’état de « grand bon homme». Ils m’appellent great good man, comme autrefois leur Wellington. Les journaux illustrés publient la gravure du dîner des 6 000 enfants de Marylebone, et Punch lui-même, tout royaliste qu’il est, glorifie Ruy Blas. — Vous trouverez sous ce pli, mes bien-aimés, une traite de 800 fr. à l’ordre de François V. sur Mallet frères. Comme Victor le désire j’envoie à Adèle 500 fr. faisant trois mois d’avance (février, mars, avril) 450 fr. plus un boni de 50 fr. que je lui laisse. Il y aura lieu en conséquence de reprendre et de compter dans l’argent de la maison les 125 fr. déjà avancés à Ad. pour février et qui feraient double emploi. — Je rappelle à Victor qu’il ne m’a pas envoyé la quittance de loyer du 1er janvier.

Envoyez à votre mère, par votre plus prochaine lettre, la lettre de Julie que voici. — J’espère que vous êtes toujours heureux et joyeux, que Georges Ier grandit et que Georges II grossit. — Serrez toutes les mains d’amis que vous rencontrerez. Certes, il ne faut pas du Roi s’amuse à Bruxelles. C’est déjà trop de Ruy Blas pour ces bons Welches. J’ai écrit à Lermina mon opinion nette sur MM. Sarcey et Proudhon, et je l’ai engagé à lire l’article de Pelletan dans la Revue des 2 mondes. — Garibaldi, Mentana, Ruy Blas, le Christmas, etc., tout cela m’avait fort dérangé, et vous auriez eu le droit de me gronder si je ne m’étais remis bien vite au travail. — Maintenant, je me lève au point du jour, j’écris jusqu’au coup de canon du soir, et je suis content de moi.

Je vous serre tous sur mon vieux cœur.

V.

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