À Albert Lacroix.

H.-H., 10 janvier.

Mon cher monsieur Lacroix, Auguste Vacquerie a dû vous dire ma très vive contrariété de la semaine passée. Je n’y reviens pas. Seulement vous voyez l’importance des précautions à prendre. M. Claye était très secret, vous le savez. Il faut que M. Poupart-Davyl l’imite, et se rende compte que rien d’un livre de moi ne doit arriver au dehors avant le jour de la publication. Vous avez vu l’hostilité immédiate. Mon livre publié, et tout entier sous les yeux de tous, se défend tout seul, et je suis tranquille. Ceci m’amène à répondre à une de vos questions :

1° Personnellement, je préférerais la publication des quatre volumes ensemble, par la raison que je viens de dire. Le tome deux, qui ouvre la seconde partie Par ordre du Roi, étant tout en préparation (histoire, mœurs, peinture de caractères et mise en scène des personnages) gagnerait à être publié entre le drame très intense la mer et la nuit, et le drame non moins intense qui remplit sans interruption les deux derniers volumes. Dans ma pensée je dédie le tome II à l’élite, et les tomes I, III et IV à Tout le Monde. Dans Tout le Monde, il y a l’élite ; aussi c’est surtout pour Tout le Monde que je travaille ; comme vous voyez dans la proportion de 3 à 1.

2° Pour l’éditeur, il me semble que la publication intégrale des quatre volumes en bloc vaudrait mieux ; ayant un paiement assez considérable à faire la veille de la mise en vente, il trouverait un plus prompt remboursement dans une base de 24 francs (quatre volumes) que de 6 francs (un volume). Réfléchissez.

La solution de cette question n’a d’ailleurs aucune urgence immédiate, puisqu’il faut d’abord, et avant tout, que les quatre volumes soient imprimés et prêts à paraître, vu qu’il ne faut, dans tous les cas, pas plus de huit jours d’intervalle entre les lancements successifs ; quand ces quatre volumes seront tout imprimés et complets dans nos mains, il y aura lieu de décider si on fait la publication d’un seul bloc, ou si on la divise en deux :

La mer et la nuit (1re partie) 1 vol.

Par ordre du Roi (2e partie) 3 volumes (impossible, soit dit en passant, de scinder ces trois volumes), nos amis, très compétents, et conseillers admirables, Vacquerie et Meurice, nous donneront leur avis.

(Par parenthèse, l’impression devrait marcher plus vite. Je n’ai pas reçu hier d’épreuves. Je les renvoie toujours corrigées le jour même. On peut m’envoyer autant de feuilles qu’on voudra. Se souvenir qu’il n’y a de poste ici que le mardi, le mercredi, le jeudi et le samedi.)

Quant à l’étendue et au nombre de pages de chaque volume, voici qui vous fixera. Prenons pour base du chiffre le double feuillet de la copie (dont vous avez entre les mains 69)

le tome Ier a 69 doubles feuillets

le tome II 65

le tome III 62

le tome IV 74.

Le tome IV, utile et nécessaire à la grandeur de l’ensemble, est un de ceux que je préfère ; mais il est plutôt mœurs et histoire et étude du cœur humain que drame.

Gardez pour vous, je vous prie, ces appréciations qui me sont personnelles. Somme toute, j’ai été charmé de ce que vous, ainsi que Vacquerie, m’avez écrit, et je crois aussi, moi, à un effet assez profond.

En librairie, traduisez : grand succès. C’est votre pronostic, et le mien.

Je dois vous prévenir que l’envoi direct du reste du manuscrit à Paris, bien plus coûteux que par Bruxelles, atteindra environ 200 fr., ce qui fait que l’envoi total finira de la sorte, en additionnant le chiffre du premier envoi, par vous coûter près de 300 fr. Songez-y.

Je vous enverrai le tome deux, dès que vous aurez pris votre parti.

Je vous souhaite fortune et succès et je vous envoie mille vœux et mille compliments.

V. H.

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