à édouard Lockroy.

Vianden, 10 août (grande date). Cher confrère, Versailles vous a mis en prison, Paris vous met à l’hôtel de ville. C’est bien fait. Quand donc les hommes comprendront-ils que rien n’est bête comme de persécuter ? La persécution est de l’espèce écrevisse ; elle va toujours du côté opposé à celui où elle veut aller ; elle réussit l’avortement ; elle couronne ceux qu’elle veut décapiter. Donc tout est bien. Le conseil municipal de Paris a besoin d’hommes comme vous. Vous y représenterez l’art et le progrès. Vous serez secondé, du reste, je le crois, par le préfet, M Léon Say, que je tiens pour un homme très distingué, intelligent et libéral. Je suis très en froid avec les débats , que possèdent mes amis et que rédigent mes ennemis ; mais cela ne m’empêche pas de rendre justice à M Say. Vous trouverez en lui, je n’en doute pas, beaucoup d’appui pour tout ce qui peut rendre à Paris sa grande et haute splendeur. Le théâtre sera une de vos principales préoccupations. J’entrevois que le théâtre-français va redevenir un théâtre de coterie, ce que du reste il a toujours été depuis quarante ans. La porte-saint-Martin est morte comme Jeanne D’Arc, non pas vierge (vu la biche aux bois et le pied de mouton, etc.) mais martyre. Renaîtra-t-elle ? Le vaudeville existe. C’est un beau théâtre. Il pourrait rendre à l’art et à Paris de grands services, mais il faudrait qu’il fût bien dirigé. Votre ami et le mien, M Ernest Blum, serait, selon moi, l’homme. Vous l’appuierez, n’est-ce pas ? Je ne suis rien et je ne puis rien ; mais vous, qui êtes l’esprit, le talent, le cœur et la volonté, puisque vous avez le mandat, vous aurez à coup sûr, l’influence. Je serais charmé d’apprendre que M Blum a réussi. On n’en trouvera pas un plus spirituel, ni un plus honnête. La république a des amis dans le conseil municipal de Paris. Ils seront, certes, avec vous. Rien qu’au point de vue littéraire, que de grandes choses pourraient faire les hommes chargés de cette immense tutelle municipale de Paris. Les peuples sont libres par la littérature autant que par la politique. Preuve, Athènes. Faites de votre mieux, mon cher collègue d’autrefois, mon cher confrère de toujours. Votre ami, Victor Hugo.

à bientôt.

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