à Paul Meurice.

Hauteville-House, 20 mars. Je vous écris oppressé. Il y a ici une catastrophe. Un packet s’est perdu (ci-joint les détails). L’île est en deuil, les pavillons sont en berne, les maisons fermées. C’est la première fois qu’un packet se perd depuis quarante ans qu’il y a entre l’Angleterre et l’archipel un va-et-vient de steamers. Le capitaine est mort stoïquement. Il s’appelait Harvey. Une large face vermeille, des favoris blancs, des yeux bons et braves. Il y a trois ans, en juillet 1867, j’étais sur son bateau. La flotte anglaise était à Shurness pour le vice-roi d’égypte et la reine Victoria. Quelques ladies qui étaient à bord du normandy avec moi et qui souhaitaient voir la flotte, me prièrent d’en exprimer le désir. C’était un détour de deux heures. Il fallait contourner l’île de Wight. Elles me disaient : " dites au capitaine que vous en avez envie. — mais, mesdames, leur répondis-je, un navire français ne ferait pas cela pour moi. " le capitaine Harvey entendit. Il s’écria : " ce qu’un navire français ne ferait pas pour Victor Hugo, un navire anglais doit le faire. " et il mit le cap sur Shurness, me montrant la flotte pendant que la reine la montrait au khédive. Cet aimable homme était un héros, et vient de mourir superbement. Il a sauvé tous ceux qu’il a pu ; et il est resté pour mourir. Je vous dis tout cela. Je suis triste. Triste aussi du coup qui frappe notre grand Frédérick Lemaître. J’aimais beaucoup son fils, mon maffio. Voulez-vous transmettre ce mot au père. Cher doux ami, je n’ai pas reçu de lettre de vous cette semaine. Cette fois c’est l’océan qui s’est chargé de l’intercepter. La malle-poste de jeudi est au fond de la mer. Si vous m’avez écrit redites-moi votre lettre. à vous ex imo .

Share on Twitter Share on Facebook