à Paul Meurice.

Bruxelles, 19 août. Cher Meurice, je vous envoie ce télégramme : -" je rentre comme garde national de Paris. J’arriverai le 21 août. " — mais on m’affirme que vous ne le recevrez pas, c’est pourquoi je vous écris en même temps. Votre lettre, arrivée à Guernesey après mon départ, m’est parvenue ici aujourd’hui à deux heures. Nous sommes immédiatement allés, Charles, M Duverdier et moi, à la chancellerie. J’ai déclaré que je ne reconnaissais pas l’empire français, que je subissais comme contraint et forcé la formalité abusive du passeport, et j’ai dit mon nom. Là-dessus on a appelé le ministre, qui était absent. Son suppléant immédiat, rosette à la boutonnière, est venu à sa place, très poli, m’a demandé la permission de saluer avant tout le grand poëte du siècle . J’ai répondu courtoisement à l’homme du monde, et j’ai renouvelé fermement ma protestation au fonctionnaire, en le sommant de me délivrer un passeport. Il hésitait. J’ai dit : je ne veux rien être en France qu’un garde national de plus. Il a salué. Charles a dit : et moi aussi . Duverdier a dit : et moi aussi . Il nous a promis des passeports, mais m’a demandé la permission de ne nous les envoyer que ce soir. Nous en sommes là. Vous m’approuvez, n’est-ce pas ? Je veux rentrer en France, rentrer à Paris, publiquement, simplement, comme garde national, avec mes deux fils à mes côtés. Je me ferai inscrire sur l’arrondissement où je logerai, et j’irai au rempart, mon fusil sur l’épaule. Tout cela sans préjudice de tout le reste du devoir. Je ne veux aucune part du pouvoir, mais je veux part entière au danger. Je ne crois pas qu’on ose me refuser un passeport. Ce retard pourtant m’oblige à ne fixer mon départ qu’à dimanche matin 21 août. Nous partirons à 9 heures de Bruxelles et nous serons à Paris à 2 h 35. Ne pensez-vous pas qu’il faut annoncer mon retour, mais pas l’heure ? Nous amenons une vaillante voyageuse, deux même, car Alice veut accompagner Charles. Nous laissons ici les enfants. Charles est d’avis de nous loger tous les quatre à l’hôtel du louvre. Nous voudrions ne pas nous séparer. Vous nous renseignerez et nous dirigerez. Mon doux et intrépide ami, quel bonheur de faire son devoir à côté de vous ! à Auguste Vacquerie. Bruxelles, 19 août. Cher Auguste, voici ma réponse à la lettre de Paul Meurice, reçue il y a deux heures. Lisez-la, et transmettez-la lui. Je rentre comme garde national. Paris est maintenant la grande brèche. Quel bonheur, je le dis à Meurice et je vous le redis, d’être tous ensemble dans cette superbe et périlleuse occasion de bien faire ! à vous, cher grand esprit.

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