Au directeur du Daily Telegraph.

Hauteville-House, 26 avril 1869.

Je m’empresse, Monsieur, de répondre à votre lettre. Vous voulez bien attribuer à la publication de l’Homme qui Rit une importance qui vous fait souhaiter quelques lignes de moi, spécialement pour l’Angleterre. J’ai peu de chose à ajouter à la préface de l’Homme qui Rit. Ce n’est pas un livre anglais ; c’est un livre humain. Il est anglais cependant en ce sens qu’un certain côté, presque inconnu, de l’histoire d’Angleterre y est mis à nu et exposé en pleine lumière, ce qui semblera à l’Angleterre brusque peut-être, mais, à coup sûr, instructif. Le reste des mœurs espagnoles et papistes, personnifiés dans la duchesse Josiane, étonnera certainement la modestie anglaise actuelle, mais c’est au stuartisme et au catholicisme qu’il faut s’en prendre. Je ne suis, moi, qu’historien et philosophe ; je ne sais pas l’anglais ; pourtant, en m’en référant au jugement unanime, je désire que la traduction publiée ressemble à la traduction de mon livre William Shakespeare, qui est excellente, et non à la traduction des Misérables, qui est détestable et à refaire.

L’Homme qui Rit, je le répète, est surtout un livre humain. L’ancienne aristocratie anglaise y est peinte avec impartialité, et l’historien de l’Homme qui Rit a tenu compte de tout ce qu’il y a eu de vraie grandeur dans la domination souvent patriotique des lords. Le roman, tel que je le comprends, tel que je tâche de le faire, est d’un côté drame et de l’autre histoire. Ce que l’Angleterre verra dans ce livre, l’Homme qui Rit, c’est ma profonde sympathie pour son progrès et pour sa liberté. Les vieilles jalousies de races n’existent pas pour moi ; je suis de toutes les races. Étant homme j’ai le monde pour cité, et je suis chez moi en Angleterre, de même qu’un anglais est chez lui en France. Effaçons le mot hospitalité, tout charmant qu’il est, et remplaçons-le parle mot droit, « sévère, mais juste ». J’aime l’Angleterre, et mon livre le lui prouve. Vous voulez que je le lui dise, c’est fait. Publiez ma lettre si vous le jugez à propos.

Recevez, Monsieur, la nouvelle assurance de ma cordialité.

Victor Hugo.

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