À Robelin.

Hauteville-House, 10 novembre.

Mon cher, mon vieux, mon excellent ami, vos embarras ne sont rien près des miens.

J’ai vendu ma rente italienne et j’ai engagé mes autres titres. Cependant voici : je puis disposer en ce moment d’une somme de 1 434 francs (traite sur Hetzel, échéance le 5 janvier), je vous l’offre. Si elle peut vous aider dans vos paiements, écrivez-moi un mot, j’endosserai la traite et je vous l’enverrai courrier par courrier. Vous m’enverrez en échange une traite de somme égale, sans intérêts bien entendu, à l’échéance que vous voudrez. Ces 1 434 francs seront bien peu de chose, mais c’est tout ce que je puis en ce moment. Prenez, si cela peut vous servir.

À vous du fond de mon vieux cœur.

Victor Hugo.

À vous je dis tout. Depuis deux ans, il m’est sorti des mains plus de trois cent mille francs. Rien qu’en dons. (Canons pour la défense de Paris, ambulances, blessés, pontons, prisonniers, familles de condamnés, veuves et orphelins, Alsace et Lorraine, libération du territoire, etc.). J’ai donné plus de 35 000 et cela continue.

J’ai tout engagé, même ma maison. Je compte pour me dégager de ce chaos sur mon travail actuel ; c’est pour cela que je suis à Guernesey. C’est avec les droits d’auteur de Ruy Blas et de Marion de Lorme que je compte payer toutes mes dépenses jusqu’au 1er mars, car ce qui me reste de revenu libre suffit à peine pour payer les rentes que je fais annuellement à mes enfants : 12 000 francs pour Victor, 12 000 francs pour Alice, 7 000 francs pour Adèle, pour les trois 31 000 francs. Vous voyez ma situation.

Certes, j’eusse été bien heureux de demeurer dans une de vos maisons, mais cela n’a pas dépendu de moi. Pourtant je me figure que cela finira par là. Je vous embrasse, cher ami.

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