À Émile de Girardin.

Bruxelles, 21 juillet 1867.

Avec vous, cher grand penseur, même quand je ne réussis pas, je ne me lasse jamais, car je sais que, fidèle à votre puissant esprit d’initiative, vous finissez toujours par vouloir et par essayer.

Je suis convaincu que si vous eussiez gardé dans la Presse et dans la Liberté M. Emmanuel des Essarts que je vous recommandais, M. Emmanuel des Essarts avait en lui la croissance d’un critique de premier ordre. Je suis certain qu’en M. Arrigo Boïto, poëte italien, vous eussiez très vite constaté et fait constater par tous un excellent écrivain français. Les italiens peuvent écrire en français avec supériorité, témoins Mazzini, Petruccelli della Gattina, et même ce triste Fiorentino. Mais je regrette d’écrire ce triste nom à côté de tant de noms honorables. Supposez que je l’ai raturé.

Non, je ne me décourage pas.

Aujourd’hui j’appelle votre attention sur M. Amédée Blondeau.

M. Amédée Blondeau est un des plus vifs et des plus brillants écrivains de ce qu’on appelle aujourd’hui la petite presse. Pour vous comme pour moi, il n’y a ni grande, ni petite presse. Il y a la presse et la liberté. (Quelle fortune vous avez eue de fonder précisément sous ces deux titres deux journaux !) Laissez-moi vous dire en passant que chaque fois qu’un numéro de La Liberté arrive jusqu’à moi dans mon désert, j’admire plus que jamais votre lutte robuste et persévérante pour le progrès. Votre puissant esprit renouvelle avec une fécondité magnifique, ses armes, ses arguments, ses projectiles, ses victoires.

Eh bien, croyez-moi, enrôlez dans votre légion vaillante M. Amédée Blondeau. Ce jeune et vigoureux talent est digne de devenir votre auxiliaire. Aujourd’hui, si vous l’admettez, il me remerciera. Demain, ce sera vous qui me remercierez.

Je vous écris de Bruxelles où je suis depuis avant-hier. J’ai quitté Hauteville-House et Guernesey mercredi 17. Il paraît que, pendant que j’étais à Guernesey, beaucoup de gens affirment m’avoir vu à Paris. Niez les miracles maintenant !

Je presse vos mains dans les miennes.

Victor Hugo.

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