Au Comité du monument de Miçkiewicz.

Guernesey, Hauteville-House, 17 mai 1867.

On me demande une parole pour ce tombeau illustre. Le généreux fils du grand poëte de la Pologne s’adresse à moi et me dit : Parlez de mon père. Parler de son père, parler de Miçkiewicz, c’est parler du beau, du juste et du vrai ; c’est parler du droit dont il fut le soldat, du devoir dont il fut le héros, de la liberté dont il fut l’apôtre et de la délivrance dont il est le précurseur.

Miçkiewicz a été un évocateur de toutes les vieilles vertus qui ont en elles une puissance de rajeunissement ; il a été un prêtre de l’idéal ; son art est le grand art ; le profond souffle des forêts sacrées est dans sa poésie. Et il a compris l’humanité en même temps que la nature ; son hymne à l’infini se complique de la sainte palpitation révolutionnaire. Banni, proscrit, vaincu, il a superbement jeté aux quatre vents l’altière revendication de la patrie. La diane des peuples, c’est le génie qui la sonne ; autrefois c’était le prophète, aujourd’hui c’est le poëte ; et Miçkiewicz est un des clairons de l’avenir.

Il y a de la vie dans un tel sépulcre.

L’immortalité est dans le poëte, la résurrection est dans le citoyen.

Un jour les Peuples-unis d’Europe diront à la Pologne : Lève-toi ! et c’est de ce tombeau que sortira sa grande âme.

Oui, ce sublime fantôme, la Pologne, est couché là avec ce poëte... Salut à Miçkiewicz ! Salut à ce noble endormi qui se réveillera ! Il m’entend, je le sais, et il me comprend. Nous sommes, lui et moi, deux absents. Si je n’ai, dans mon isolement et dans mes ténèbres, aucune couronne à donner au nom de la gloire, j’ai le droit de fraterniser avec une ombre au nom du malheur. Je ne suis pas la voix de la France, mais je suis le cri de l’exil.

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