À Auguste Vacquerie.

H.-H., 7 janvier.

Cher Auguste, vous êtes admirablement bon et secourable. À quel imprimeur M. Lacroix m’a-t-il donc livré ? Chez Claye mes épreuves étaient en sûreté. Chez M. Poupart-Davyl, elles traînent sur les tables. Des bribes en arrivent aux journaux. Connaissez-vous une punaise appelée Francis Magnard ? cette punaise pue et pique je ne sais où, et aujourd’hui j’apprends par une attaque de cet insecte qu’un fragment de l’Homme qui Rit a paru dans les journaux. Rendez-moi le service de voir M. Lacroix, et de lui faire remarquer cette grosse maladresse. Mon livre doit arriver entier au public. De cette façon il se défendra, et je suis tranquille. Mais mon éditeur livrant mes épreuves, c’est fort ! — Grondez énergiquement M. Lacroix, je vous prie, en mon nom. Je n’ai pas le temps de lui écrire aujourd’hui, et je ne voudrais pas que la chose passât sans un sérieux avertissement. Soyez assez bon aussi pour veiller à ce que les indiscrétions (voisines de la trahison) de mon éditeur ne se renouvellent pas. Je retire le mot trahison et je le remplace par bêtise. Enfin, comme toujours, faites pour le mieux.

Vous êtes donc une trinité lisant mon œuvre ! j’en suis ravi et touché. Je serre la main de votre neveu, je me mets aux pieds de madame Ernest, je baise les petites pattes charmantes de Catherine, je vous serre, vous, dans mes bras. Je vous remercie avec toutes mes effusions. Je suis content que vous soyez content. Cher ami et cher maître, je suis à l’aise sous votre œil profond et sûr, car vous comprenez aussi puissamment que vous créez.

Oh ! je sais bien que je ne vieillis pas et que je grandis au contraire, et c’est à cela que je sens l’approche de la mort. Quelle preuve de l’âme ! mon corps décline, ma pensée croît ; sous ma vieillesse il y a une éclosion. Je me sens monter dans l’aurore inconnue. Je suis adolescent pour l’infini, et j’ai déjà l’âme dans cette jeunesse, le tombeau. Qu’ils sont aveugles, ceux qui disent que l’esprit est la résultante de la chair ! Ma chair s’en va, mon esprit augmente. — Pardon de cette métaphysique. Aimez-moi.

V.

Ce qu’il faut à la page 135, c’est sépulcral. (Spectral a été mis par erreur.)

À Albert Lacroix.

H.-H., 10 janvier.

Mon cher monsieur Lacroix, Auguste Vacquerie a dû vous dire ma très vive contrariété de la semaine passée. Je n’y reviens pas. Seulement vous voyez l’importance des précautions à prendre. M. Claye était très secret, vous le savez. Il faut que M. Poupart-Davyl l’imite, et se rende compte que rien d’un livre de moi ne doit arriver au dehors avant le jour de la publication. Vous avez vu l’hostilité immédiate. Mon livre publié, et tout entier sous les yeux de tous, se défend tout seul, et je suis tranquille. Ceci m’amène à répondre à une de vos questions :

1° Personnellement, je préférerais la publication des quatre volumes ensemble, par la raison que je viens de dire. Le tome deux, qui ouvre la seconde partie Par ordre du Roi, étant tout en préparation (histoire, mœurs, peinture de caractères et mise en scène des personnages) gagnerait à être publié entre le drame très intense la mer et la nuit, et le drame non moins intense qui remplit sans interruption les deux derniers volumes. Dans ma pensée je dédie le tome II à l’élite, et les tomes I, III et IV à Tout le Monde. Dans Tout le Monde, il y a l’élite ; aussi c’est surtout pour Tout le Monde que je travaille ; comme vous voyez dans la proportion de 3 à 1.

2° Pour l’éditeur, il me semble que la publication intégrale des quatre volumes en bloc vaudrait mieux ; ayant un paiement assez considérable à faire la veille de la mise en vente, il trouverait un plus prompt remboursement dans une base de 24 francs (quatre volumes) que de 6 francs (un volume). Réfléchissez.

La solution de cette question n’a d’ailleurs aucune urgence immédiate, puisqu’il faut d’abord, et avant tout, que les quatre volumes soient imprimés et prêts à paraître, vu qu’il ne faut, dans tous les cas, pas plus de huit jours d’intervalle entre les lancements successifs ; quand ces quatre volumes seront tout imprimés et complets dans nos mains, il y aura lieu de décider si on fait la publication d’un seul bloc, ou si on la divise en deux :

La mer et la nuit (1re partie) 1 vol.

Par ordre du Roi (2e partie) 3 volumes (impossible, soit dit en passant, de scinder ces trois volumes), nos amis, très compétents, et conseillers admirables, Vacquerie et Meurice, nous donneront leur avis.

(Par parenthèse, l’impression devrait marcher plus vite. Je n’ai pas reçu hier d’épreuves. Je les renvoie toujours corrigées le jour même. On peut m’envoyer autant de feuilles qu’on voudra. Se souvenir qu’il n’y a de poste ici que le mardi, le mercredi, le jeudi et le samedi.)

Quant à l’étendue et au nombre de pages de chaque volume, voici qui vous fixera. Prenons pour base du chiffre le double feuillet de la copie (dont vous avez entre les mains 69)

le tome Ier a 69 doubles feuillets

le tome II 65

le tome III 62

le tome IV 74.

Le tome IV, utile et nécessaire à la grandeur de l’ensemble, est un de ceux que je préfère ; mais il est plutôt mœurs et histoire et étude du cœur humain que drame.

Gardez pour vous, je vous prie, ces appréciations qui me sont personnelles. Somme toute, j’ai été charmé de ce que vous, ainsi que Vacquerie, m’avez écrit, et je crois aussi, moi, à un effet assez profond.

En librairie, traduisez : grand succès. C’est votre pronostic, et le mien.

Je dois vous prévenir que l’envoi direct du reste du manuscrit à Paris, bien plus coûteux que par Bruxelles, atteindra environ 200 fr., ce qui fait que l’envoi total finira de la sorte, en additionnant le chiffre du premier envoi, par vous coûter près de 300 fr. Songez-y.

Je vous enverrai le tome deux, dès que vous aurez pris votre parti.

Je vous souhaite fortune et succès et je vous envoie mille vœux et mille compliments.

V. H.

À Monsieur Pigott,
directeur du Daily News.

Hauteville House, 12 janvier.

Cher monsieur Pigott,

C’est dans son intérêt que je ne puis accorder à M. Dallas ce qu’il désire.

L’Homme qui Rit va être partout, et mon livre ne sera connu que sous ce titre. Par ordre du Roi dérouterait le public anglais. Rappelez-vous l’immense éclat de rire qui a bafoué en Europe la traduction anglaise changeant le titre de Notre-Dame de Paris. Si l’Homme qui Rit est intraduisible, il faut intituler la traduction anglaise : L’Homme qui Rit, en français , comme on a fait pour les Misérables, titre intraduisible également. Nous, en France, nous avons respecté le titre de Rob-Roy que nous aurions pourtant pu traduire par Robert-le-Rouge.

M. Dallas, qui est un homme intelligent et très distingué, réfléchira et sera certainement de mon avis : maintenir l’Homme qui Rit.

Que de remerciements je vous dois, et quel excellent ami vous êtes !

Cordial shake-hand.

Victor Hugo.

À François-Victor.

H.-H., 14 janvier.

J’arrive du Foulon. J’ai voulu faire moi-même la sombre et fidèle visite. Puisque tu n’y es pas, mon Victor, il me semble que personne autant que moi n’est toi. Ce que j’ai cueilli je l’ai mis dans ton écriture pour faire plaisir à la morte. La feuille simple est prise aux pieds, la feuille triple est prise à la tête. J’ai prié. Et en même temps j’ai pensé à ta mère, à Didine, à Georges, à Adèle, hélas !

Mon bien-aimé enfant, je t’envoie la bénédiction de la douce ombre et la mienne. Sois heureux.

V.

Ton autre mère d’ici t’embrasse tendrement. Elle a été touchée et heureuse de l’envoi de l’Almanach.

À Paul Meurice.

H.-H., 16 janvier.

Je vous envoie sous ce pli une traite à vue sur Mallet frères de 850 fr. (618 fr. pour payer l’annuité d’assurance, et 200 fr. pour Mme d’A. qui vous présentera un bon. Voudrez-vous bien lui envoyer ce mot ?)

Je suis ému de votre lettre pénétrante et profonde, ému de votre superbe sonnet que je viens de relire dans le livre, ému d’être compris et aimé par vous.

J’ai toujours grand’peur des Amours. Je verrai s’il y a moyen de tourner la difficulté en écrivant quelques pages sur l’Amour dans son acception la plus haute. J’y songerai. Vous savez combien je vous suis docile et quelle est ma joie de vous obéir, mon doux frère et maître.

J’ai trouvé pour votre journal ces deux titres qui se ressemblent, bien qu’absolument différents :

Le Rappel.

Maintenant, 2°, mais laissant un peu d’espace :

L’Appel au Peuple.

J’aime ce second titre. Il est grand, sérieux, et je le crois neuf. Oh ! comme je suis content que mon livre vous plaise.

Je vous serre dans mes bras.

V.

Je suis absolument de votre avis et de l’avis d’Auguste ; il faut tout au plus deux publications. 1°, la première partie La Mer et la Nuit, un volume.

2°, huit jours après, la seconde partie Par ordre du Roi (indivisible), trois volumes. Les volumes seront à peu près d’égale grosseur ; le premier et le dernier seront les plus gros. J’inclinerais volontiers à publier les quatre volumes ensemble. Je crois que l’effet serait grand.

Michelet devient de plus en plus aigre-doux. Avez-vous lu son article sur Paul Huet ? que lui avons-nous fait ?

À Auguste Vacquerie.

H.-H., 19 janvier.

Votre dernière lettre m’a charmé. Quel merveilleux commentaire vous faites de mon livre ! Je crois que lorsque vous aurez l’ensemble de toute l’œuvre sous les yeux et devant l’esprit, vous serez content. Et que de bonnes attentions de compagnon d’exil ! J’ai reconnu votre écriture sur la bande d’un journal. Merci ex imo. — J’ai envoyé le T. II à M. Lacroix. L’imprimerie marche bien lentement. Aujourd’hui encore je ne reçois qu’une feuille. Et puis maladresses sur maladresses. Je n’ai pas reçu la feuille 11, et j’ai peur qu’elle n’ait été égarée en route, ce qui pourrait avoir des conséquences très ennuyeuses par ce temps de chiperie acharnée. Plaignez-vous, je vous prie, à M. Lacroix, et recommandez-lui le soin et la discrétion. Toutes vos observations calmantes quant à M. Z., sont absolument justes. En tout je vous obéis, je vous suis, et j’emboîte le pas derrière vous. Que de peines je vous donne ! À quand Faust ! Quando te aspiciam ! Je vous serre tendrement la main.

V.

J’ai écrit à Meurice que je pensais absolument comme vous deux, sur le mode de publication. Tout au plus en deux fois, jamais en trois. Et serrez la main excellente de votre neveu, et mettez-moi aux pieds de

madame Ernest, et précipitez-vous aux pieds de Catherine.

Aux rédacteurs du Progrès de Lyon.

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