IV À des journalistes de robe courte

Parce que, jargonnant vêpres, jeûne et vigile,

Exploitant Dieu qui rêve au fond du firmament,

Vous avez, au milieu du divin évangile,

Ouvert boutique effrontément ;

Parce que vous feriez prendre à Jésus la verge,

Cyniques brocanteurs sortis on ne sait d’où ;

Parce que vous allez vendant la sainte vierge

Dix sous avec miracle, et sans miracle un sou ;

Parce que vous contez d’effroyables sornettes

Qui font des temples saints trembler les vieux piliers ;
Parce que votre style éblouit les lunettes

Des duègnes et des marguilliers ;

Parce que la soutane est sous vos redingotes,

Parce que vous sentez la crasse et non l’œillet,

Parce que vous bâclez un journal de bigotes

Pensé par Escobar, écrit par Patouillet ;

Parce qu’en balayant leurs portes, les concierges

Poussent dans le ruisseau ce pamphlet méprisé ;

Parce que vous mêlez à la cire des cierges

Votre affreux suif vert-de-grisé ;

Parce qu’à vous tout seuls vous faites une espèce ;

Parce qu’enfin, blanchis dehors et noirs dedans,

Criant mea culpa, battant la grosse caisse

La boue au cœur, la larme à l’œil, le fifre aux dents,

Pour attirer les sots qui donnent tête-bêche

Dans tous les vils panneaux du mensonge immortel,

Vous avez adossé le tréteau de Bobêche

Aux saintes pierres de l’autel,

Vous vous croyez le droit, trempant dans l’eau bénite

Cette griffe qui sort de votre abject pourpoint,

De dire : Je suis saint, ange, vierge et jésuite,

J’insulte les passants et je ne me bats point !

Ô pieds plats ! votre plume au fond de vos masures

Griffonne, va, vient, court, boit l’encre, rend du fiel,
Bave, égratigne et crache, et ses éclaboussures

Font des taches jusques au ciel !

Votre immonde journal est une charretée

De masques déguisés en prédicants camus,

Qui passent en prêchant la cohue ameutée

Et qui parlent argot entre deux oremus.

Vous insultez l’esprit, l’écrivain dans ses veilles,

Et le penseur rêvant sur les libres sommets ;

Et quand on va chez vous pour chercher vos oreilles,

Vos oreilles n’y sont jamais !

Après avoir lancé l’affront et le mensonge,

Vous fuyez, vous courez, vous échappez aux yeux.

Chacun a ses instincts, et s’enfonce et se plonge,

Le hibou dans les trous et l’aigle dans les cieux.

Vous, où vous cachez-vous ? dans quel hideux repaire ?

Ô Dieu ! l’ombre où l’on sent tous les crimes passer

S’y fait autour de vous plus noire, et la vipère

S’y glisse et vient vous y baiser.

Là vous pouvez, dragons qui rampez sous les presses,

Vous vautrer dans la fange où vous jettent vos goûts.

Le sort qui dans vos cœurs mit toutes les bassesses

Doit faire en vos taudis passer tous les égouts.

Bateleurs de l’autel, voilà quels sont vos rôles.

Et quand un galant homme à de tels compagnons
Fait cet immense honneur de leur dire : Mes drôles,

Je suis votre homme ; dégainons !

— Un duel ! nous ! des chrétiens ! jamais ! — Et ces crapules

Font des signes de croix et jurent par les saints.

Lâches gueux, leur terreur se déguise en scrupules,

Et ces empoisonneurs ont peur d’être assassins.

Bien, écoutez, la trique est là, fraîche coupée.

On vous fera cogner le pavé du menton ;

Car sachez-le, coquins, on n’esquive l’épée

Que pour rencontrer le bâton.

Vous conquîtes la Seine et le Rhin et le Tage,

L’esprit humain rogné subit votre compas.

Sur les publicains juifs vous avez l’avantage,

Maudits ! Judas est mort, Tartuffe ne meurt pas.

Iago n’est qu’un fat près de votre Basile.

La bible en vos greniers pourrit mangée aux vers.

Le jour où le mensonge aurait besoin d’asile,

Vos cœurs sont là, tout grands ouverts.

Vous insultez le juste abreuvé d’amertumes.

Tous les vices, quittant veste, cape et manteau,

Vont se masquer chez vous et trouvent des costumes,

On entre Lacenaire, on sort Contrafatto.

Les âmes sont pour vous des bourses et des banques.

Quiconque vous accueille a d’affreux repentirs.
Vous vous faites chasser, et par vos saltimbanques

Vous parodiez les martyrs.

L’église du bon Dieu n’est que votre buvette.

Vous offrez l’alliance à tous les inhumains.

On trouvera du sang au fond de la cuvette,

Si jamais, par hasard, vous vous lavez les mains.

Vous seriez des bourreaux si vous n’étiez des cuistres.

Pour vous le glaive est saint et le supplice est beau !

Ô monstres ! vous chantez dans vos hymnes sinistres

Le bûcher, votre seul flambeau !

Depuis dix-huit cents ans Jésus, le doux pontife,

Veut sortir du tombeau qui lentement se rompt,

Mais vous faites effort, ô valets de Caïphe,

Pour faire retomber la pierre sur son front !

Ô cafards ! votre échine appelle l’étrivière.

Le sort juste et railleur fait chasser Loyola

De France par le fouet d’un pape, et de Bavière

Par la cravache de Lola.

Allez, continuez, tournez la manivelle

De votre impur journal, vils grimauds dépravés ;

Avec vos ongles noirs grattez votre cervelle ;

Calomniez, hurlez, mordez, mentez, vivez !

Dieu prédestine aux dents des chevreaux les brins d’herbes,

La mer aux coups de vent, les donjons aux boulets,
Aux rayons du soleil les parthénons superbes,

Vos faces aux larges soufflets.

Sus donc ! cherchez les trous, les recoins, les cavernes !

Cachez-vous, plats vendeurs d’un fade orviétan,

Pitres dévots, marchands d’infâmes balivernes,

Vierges comme l’eunuque, anges comme Satan !

Ô saints du ciel ! est-il, sous l’œil de Dieu qui règne,

Charlatans plus hideux et d’un plus lâche esprit,

Que ceux qui, sans frémir, accrochent leur enseigne

Aux clous saignants de Jésus-Christ !

Septembre 1856.

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