V

Le nom grandit quand l’homme tombe ;

Jamais rien de tel n’avait lui.

Calme, il écoutait dans sa tombe

La terre qui parlait de lui.

La terre disait : « La victoire

A suivi cet homme en tous lieux.

Jamais tu n’as vu, sombre histoire,

Un passant plus prodigieux !

» Gloire au maître qui dort sous l’herbe !

Gloire à ce grand audacieux !

Nous l’avons vu gravir, superbe,

Les premiers échelons des cieux !

» Il envoyait, âme acharnée,

Prenant Moscou, prenant Madrid,

Lutter contre la destinée

Tous les rêves de son esprit.

» À chaque instant, rentrant en lice,

Cet homme aux gigantesques pas

Proposait quelque grand caprice

À Dieu, qui n’y consentait pas.

» Il n’était presque plus un homme.

Il disait grave et rayonnant,

En regardant fixement Rome :

C’est moi qui règne maintenant !

» Il voulait, héros et symbole,

Pontife et roi, phare et volcan,

Faire du Louvre un Capitole

Et de Saint-Cloud un Vatican.

» César, il eût dit à Pompée :

Sois fier d’être mon lieutenant !  

On voyait luire son épée

Au fond d’un nuage tonnant.

» Il voulait, dans les frénésies

De ses vastes ambitions,

Faire devant ses fantaisies

Agenouiller les nations,

» Ainsi qu’en une urne profonde,

Mêler races, langues, esprits,
Répandre Paris sur le monde,

Enfermer le monde en Paris !

» Comme Cyrus dans Babylone,

Il voulait, sous sa large main,

Ne faire du monde qu’un trône

Et qu’un peuple du genre humain,

» Et bâtir, malgré les huées,

Un tel empire sous son nom,

Que Jéhovah dans les nuées

Fût jaloux de Napoléon ! »

Share on Twitter Share on Facebook