V

Bannis ! bannis ! bannis ! c’est là la destinée.

Ce qu’apporte le flux sera dans la journée

Repris par le reflux.

Les jours mauvais fuiront sans qu’on sache leur nombre,

Et les peuples joyeux et se penchant sur l’ombre

Diront : Cela n’est plus !

Les temps heureux luiront, non pour la seule France,

Mais pour tous. On verra, dans cette délivrance,

Funeste au seul passé,

Toute l’humanité chanter, de fleurs couverte,

Comme un maître qui rentre en sa maison déserte,

Dont on l’avait chassé.

Les tyrans s’éteindront comme des météores.

Et, comme s’il naissait de la nuit deux aurores

Dans le même ciel bleu,

Nous vous verrons sortir de ce gouffre où nous sommes,

Mêlant vos deux rayons, fraternité des hommes,

Paternité de Dieu !

Oui, je vous le déclare, oui, je vous le répète,

Car le clairon redit ce que dit la trompette,

Tout sera paix et jour !
Liberté ! plus de serf et plus de prolétaire !

Ô sourire d’en haut ! ô du ciel pour la terre

Majestueux amour !

L’arbre saint du Progrès, autrefois chimérique,

Croîtra, couvrant l’Europe et couvrant l’Amérique,

Sur le passé détruit,

Et, laissant l’éther pur luire à travers ses branches,

Le jour, apparaîtra plein de colombes blanches,

Plein d’étoiles, la nuit.

Et nous qui serons morts, morts dans l’exil peut-être,

Martyrs saignants, pendant que les hommes, sans maître,

Vivront, plus fiers, plus beaux,

Sous ce grand arbre, amour des cieux qu’il avoisine,

Nous nous réveillerons pour baiser sa racine,

Au fond de nos tombeaux !

Jersey, 16-20 décembre 1853.

Share on Twitter Share on Facebook