I

Mets-toi sur ton séant, lève tes yeux, dérange

Ce drap glacé qui fait des plis sur ton front d’ange,

Ouvre tes mains, et prends ce livre : il est à toi.

Ce livre où vit mon âme, espoir, deuil, rêve, effroi,

Ce livre qui contient le spectre de ma vie,

Mes angoisses, mon aube, hélas ! de pleurs suivie,

L’ombre et son ouragan, la rose et son pistil,

Ce livre azuré, triste, orageux, d’où sort-il ?

D’où sort le blême éclair qui déchire la brume ?

Depuis quatre ans, j’habite un tourbillon d’écume ;

Ce livre en a jailli. Dieu dictait, j’écrivais ;

Car je suis paille au vent : Va ! dit l’esprit. Je vais.

Et, quand j’eus terminé ces pages, quand ce livre

Se mit à palpiter, à respirer, à vivre,

Une église des champs que le lierre verdit,

Dont la tour sonne l’heure à mon néant, m’a dit :

Ton cantique est fini ; donne-le-moi, poëte.

Je le réclame, a dit la forêt inquiète ;

Et le doux pré fleuri m’a dit : Donne-le-moi.

La mer, en le voyant frémir, m’a dit : Pourquoi

Ne pas me le jeter, puisque c’est une voile !

C’est à moi qu’appartient cet hymne, a dit l’étoile.

Donne-le-nous, songeur, ont crié les grands vents.

Et les oiseaux m’ont dit : Vas-tu pas aux vivants

Offrir ce livre, éclos si loin de leurs querelles ?

Laisse-nous l’emporter dans nos nids sur nos ailes !

Mais le vent n’aura point mon livre, ô cieux profonds !

Ni la sauvage mer, livrée aux noirs typhons,

Ouvrant et refermant ses flots, âpres embûches ;

Ni la verte forêt qu’emplit un bruit de ruches,

Ni l’église où le temps fait tourner son compas ;

Le pré ne l’aura pas, l’astre ne l’aura pas,

L’oiseau ne l’aura pas, qu’il soit aigle ou colombe,

Les nids ne l’auront pas ; je le donne à la tombe.

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