II

Autrefois, quand septembre en larmes revenait,

Je partais, je quittais tout ce qui me connaît,

Je m’évadais ; Paris s’effaçait ; rien, personne !

J’allais, je n’étais plus qu’une ombre qui frissonne,

Je fuyais, seul, sans voir, sans penser, sans parler,

Sachant bien que j’irais où je devais aller ;

Hélas ! je n’aurais pu même dire : Je souffre !

Et, comme subissant l’attraction d’un gouffre,

Que le chemin fût beau, pluvieux, froid, mauvais,

J’ignorais, je marchais devant moi, j’arrivais.

Ô souvenirs ! ô forme horrible des collines !

Et, pendant que la mère et la sœur, orphelines,

Pleuraient dans la maison, je cherchais le lieu noir

Avec l’avidité morne du désespoir ;

Puis j’allais au champ triste à côté de l’église ;

Tête nue, à pas lents, les cheveux dans la bise,

L’œil aux cieux, j’approchais ; l’accablement soutient ;

Les arbres murmuraient : C’est le père qui vient !

Les ronces écartaient leurs branches desséchées ;

Je marchais à travers les humbles croix penchées,

Disant je ne sais quels doux et funèbres mots ;

Et je m’agenouillais au milieu des rameaux

Sur la pierre qu’on voit blanche dans la verdure.

Pourquoi donc dormais-tu d’une façon si dure,

Que tu n’entendais pas lorsque je t’appelais ?

Et les pêcheurs passaient en traînant leurs filets,

Et disaient : Qu’est-ce donc que cet homme qui songe ?

Et le jour, et le soir, et l’ombre qui s’allonge,

Et Vénus, qui pour moi jadis étincela,

Tout avait disparu que j’étais encor là.

J’étais là, suppliant celui qui nous exauce ;

J’adorais, je laissais tomber sur cette fosse,

Hélas ! où j’avais vu s’évanouir mes cieux,

Tout mon cœur goutte à goutte en pleurs silencieux ;

J’effeuillais de la sauge et de la clématite ;

Je me la rappelais quand elle était petite,

Quand elle m’apportait des lys et des jasmins,

Ou quand elle prenait ma plume dans ses mains,

Gaie, et riant d’avoir de l’encre à ses doigts roses ;

Je respirais les fleurs sur cette cendre écloses,

Je fixais mon regard sur ces froids gazon verts,

Et par moments, ô Dieu, je voyais, à travers

La pierre du tombeau, comme une lueur d’âme !

Oui, jadis, quand cette heure en deuil qui me réclame

Tintait dans le ciel triste et dans mon cœur saignant,

Rien ne me retenait, et j’allais ; maintenant,

Hélas !… – Ô fleuve ! ô bois ! vallons dont je fus l’hôte,

Elle sait, n’est-ce pas ? que ce n’est pas ma faute

Si, depuis ces quatre ans, pauvre cœur sans flambeau,

Je ne suis pas allé prier sur son tombeau !

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