II À M. Louis B.

Lyrnessi domus alta, solo Laurente sepulcrum .Virgile.

Louis, quand vous irez, dans un de vos voyages,

Voir Bordeaux, Pau, Bayonne et ses charmants rivages,

Toulouse la romaine, où dans des jours meilleurs

J’ai cueilli tout enfant la poésie en fleurs,

Passez par Blois. — Et là, bien volontiers sans doute,

Laissez dans le logis vos compagnons de route,

Et tandis qu’ils joueront, riront ou dormiront,

Vous, avec vos pensers qui haussent votre front,

Montez à travers Blois cet escalier de rues

Que n’inonde jamais la Loire au temps des crues ;

Laissez là le château, quoique sombre et puissant,

Quoiqu’il ait à la face une tache de sang ;

Admirez, en passant, cette tour octogone

Qui fait à ses huit pans hurler une gorgone ;

Mais passez. — Et sorti de la ville, au midi,

Cherchez un tertre vert, circulaire, arrondi,

Que surmonte un grand arbre, un noyer, ce me semble,

Comme au cimier d’un casque une plume qui tremble.

Vous le reconnaîtrez, ami, car, tout rêvant,

Vous l’aurez vu de loin sans doute en arrivant.

Sur le tertre monté, que la plaine bleuâtre,

Que la ville étagée en long amphithéâtre,

Que l’église, ou la Loire, et ses voiles aux vents,

Et ses mille archipels plus que ses flots mouvants,

Et de Chambord là-bas au loin les cent tourelles

Ne fassent pas voler votre pensée entre elles.

Ne levez pas vos yeux si haut que l’horizon,

Regardez à vos pieds. —

Regardez à vos pieds. — Louis, cette maison

Qu’on voit, bâtie en pierre et d’ardoise couverte,

Blanche et carrée, au bas de la colline verte,

Et qui, fermée à peine aux regards étrangers,

S’épanouit charmante entre ses deux vergers,

C’est là. — Regardez bien. C’est le toit de mon père.

C’est ici qu’il s’en vint dormir après la guerre,

Celui que tant de fois mes vers vous ont nommé,

Que vous n’avez pas vu, qui vous aurait aimé !

Alors, ô mon ami, plein d’une extase amère,

Pensez pieusement, d’abord à votre mère,

Et puis à votre sœur, et dites : « Notre ami

Ne reverra jamais son vieux père endormi !

« Hélas ! il a perdu cette sainte défense

Qui protège la vie encore après l’enfance,

Ce pilote prudent, qui pour dompter le flot

Prête une expérience au jeune matelot !

Plus de père pour lui ! plus rien qu’une mémoire !

Plus d’auguste vieillesse à couronner de gloire !

Plus de récits guerriers, plus de beaux cheveux blancs

À faire caresser par les petits enfants !

Hélas ! il a perdu la moitié de sa vie,

L’orgueil de faire voir à la foule ravie

Son père, un vétéran, un général ancien !

Ce foyer où l’on est plus à l’aise qu’au sien,

Et le seuil paternel qui tressaille de joie

Quand du fils qui revient le chien fidèle aboie !

« Le grand arbre est tombé ! resté seul au vallon,

L’arbuste est désormais à nu sous l’aquilon.

Quand l’aïeul disparaît du sein de la famille,

Tout le groupe orphelin, mère, enfants, jeune fille,

Se rallie inquiet autour du père seul
Que ne dépasse plus le front blanc de l’aïeul.

C’est son tour maintenant. Du soleil, de la pluie,

On s’abrite à son ombre, à sa tige on s’appuie.

C’est à lui de veiller, d’enseigner, de souffrir,

De travailler pour tous, d’agir, et de mourir !

Voilà que va bientôt sur sa tête vieillie

Descendre la sagesse austère et recueillie ;

Voilà que ses beaux ans s’envolent tour à tour,

Emportant l’un sa joie et l’autre son amour,

Ses songes de grandeur et de gloire ingénue,

Et que pour travailler son âme reste nue,

Laissant là l’espérance et les rêves dorés,

Ainsi que la glaneuse, alors que dans les prés

Elle marche, d’épis emplissant sa corbeille,

Quitte son vêtement de fête de la veille !

Mais le soir, la glaneuse aux branches d’un buisson

Reprendra ses atours, et chantant sa chanson

S’en reviendra parée, et belle, et consolée ;

Tandis que cette vie, âpre et morne vallée,

N’a point de buisson vert où l’on retrouve un jour

L’espoir, l’illusion, l’innocence et l’amour !

« Il continuera donc sa tâche commencée,

Tandis que sa famille, autour de lui pressée,

Sur son front, où des ans s’imprimera le cours,

Verra tomber sans cesse et s’amasser toujours,

Comme les feuilles d’arbre au vent de la tempête,

Cette neige des jours qui blanchit notre tête !

« Ainsi du vétéran par la guerre épargné,

Rien ne reste à son fils, muet et résigné,

Qu’un tombeau vide, et toi, la maison orpheline

Qu’on voit blanche et carrée au bas de la colline,

Gardant, comme un parfum dans le vase resté,

Un air de bienvenue et d’hospitalité !

« Un sépulcre à Paris ! de pierre ou de porphyre,
Qu’importe ! Les tombeaux des aigles de l’empire

Sont auprès. Ils sont là tous ces vieux généraux

Morts un jour de victoire en antiques héros,

Ou, regrettant peut-être et canons et mitraille,

Tombés à la tribune, autre champ de bataille.

Ses fils ont déposé sa cendre auprès des leurs,

Afin qu’en l’autre monde, heureux pour les meilleurs,

Il puisse converser avec ses frères d’armes.

Car sans doute ces chefs, pleurés de tant de larmes,

Ont là-bas une tente. Ils y viennent le soir

Parler de guerre ; au loin, dans l’ombre, ils peuvent voir

Flotter de l’ennemi les enseignes rivales ;

Et l’empereur au fond passe par intervalles.

« Une maison à Blois ! riante, quoique en deuil,

Élégante et petite, avec un lierre au seuil,

Et qui fait soupirer le voyageur d’envie

Comme un charmant asile à reposer sa vie,

Tant sa neuve façade a de fraîches couleurs,

Tant son front est caché dans l’herbe et dans les fleurs !

« Maison ! sépulcre ! hélas, pour retrouver quelque ombre

De ce père parti sur le navire sombre,

Où faut-il que le fils aille égarer ses pas ?

Maison, tu ne l’as plus ! tombeau, tu ne l’as pas ! »

4 juin 1830.

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