III

Une surtout. — Un ange, une jeune espagnole !

Blanches mains, sein gonflé de soupirs innocents,

Un œil noir, où luisaient des regards de créole,

Et ce charme inconnu, cette fraîche auréole

Qui couronne un front de quinze ans !

Non, ce n’est point d’amour qu’elle est morte : pour elle,

L’amour n’avait encor ni plaisirs ni combats ;

Rien ne faisait encor battre son cœur rebelle ;

Quand tous en la voyant s’écriaient : Qu’elle est belle !

Nul ne le lui disait tout bas.

Elle aimait trop le bal, c’est ce qui l’a tuée.

Le bal éblouissant ! le bal délicieux !

Sa cendre encor frémit, doucement remuée,

Quand, dans la nuit sereine, une blanche nuée

Danse autour du croissant des cieux.

Elle aimait trop le bal. — Quand venait une fête,

Elle y pensait trois jours, trois nuits elle en rêvait,

Et femmes, musiciens, danseurs que rien n’arrête,

Venaient, dans son sommeil, troublant sa jeune tête,

Rire et bruire à son chevet.

Puis c’étaient des bijoux, des colliers, des merveilles !

Des ceintures de moire aux ondoyants reflets ;

Des tissus plus légers que des ailes d’abeilles ;

Des festons, des rubans, à remplir des corbeilles ;

Des fleurs, à payer un palais !

La fête commencée, avec ses sœurs rieuses

Elle accourait, froissant l’éventail sous ses doigts,

Puis s’asseyait parmi les écharpes soyeuses,

Et son cœur éclatait en fanfares joyeuses,

Avec l’orchestre aux mille voix.

C’était plaisir de voir danser la jeune fille !

Sa basquine agitait ses paillettes d’azur ;

Ses grands yeux noirs brillaient sous la noire mantille.

Telle une double étoile au front des nuits scintille

Sous les plis d’un nuage obscur.

Tout en elle était danse, et rire, et folle joie.

Enfant ! — Nous l’admirions dans nos tristes loisirs ;

Car ce n’est point au bal que le cœur se déploie,

La cendre y vole autour des tuniques de soie,

L’ennui sombre autour des plaisirs.

Mais elle, par la valse ou la ronde emportée,

Volait, et revenait, et ne respirait pas,

Et s’enivrait des sons de la flûte vantée,

Des fleurs, des lustres d’or, de la fête enchantée,

Du bruit des voix, du bruit des pas.

Quel bonheur de bondir, éperdue, en la foule,

De sentir par le bal ses sens multipliés,

Et de ne pas savoir si dans la nue on roule,

Si l’on chasse en fuyant la terre, ou si l’on foule

Un flot tournoyant sous ses pieds !

Mais hélas ! il fallait, quand l’aube était venue,

Partir, attendre au seuil le manteau de satin.

C’est alors que souvent la danseuse ingénue

Sentit en frissonnant sur son épaule nue

Glisser le souffle du matin.

Quels tristes lendemains laisse le bal folâtre !

Adieu parure, et danse, et rires enfantins !

Aux chansons succédait la toux opiniâtre,

Au plaisir rose et frais la fièvre au teint bleuâtre,

Aux yeux brillants les yeux éteints.