III La première voix

« Où suis-je ?… Mon brûlot ! à la voile ! à la rame !

Frères, Missolonghi fumante nous réclame,

Les turcs ont investi ses remparts généreux.

Renvoyons leurs vaisseaux à leurs villes lointaines,

Et que ma torche, ô capitaines !

Soit un phare pour vous, soit un foudre pour eux !

« Partons ! Adieu Corinthe et son haut promontoire,

Mers dont chaque rocher porte un nom de victoire,

Écueils de l’Archipel sur tous les flots semés,

Belles îles, des cieux et du printemps chéries,

Qui le jour paraissez des corbeilles fleuries,

La nuit, des vases parfumés.

« Adieu, fière patrie, Hydra, Sparte nouvelle !

Ta jeune liberté par des chants se révèle ;

Des mâts voilent tes murs, ville de matelots.

Adieu ! j’aime ton île où notre espoir se fonde,

Tes gazons caressés par l’onde,

Tes rocs battus d’éclairs et rongés par les flots.

« Frères, si je reviens, Missolonghi sauvée,

Qu’une église nouvelle au Christ soit élevée.

Si je meurs, si je tombe en la nuit sans réveil,

Si je verse le sang qui me reste à répandre,

Dans une terre libre allez porter ma cendre,

Et creusez ma tombe au soleil !

« Missolonghi ! — Les turcs ! — Chassons, ô camarades,

Leurs canons de ses forts, leurs flottes de ses rades.

Brûlons le capitan sous son triple canon.

Allons ! que des brûlots l’ongle ardent se prépare.

Sur sa nef, si je m’en empare,

C’est en lettres de feu que j’écrirai mon nom.

« Victoire ! amis… — Ô ciel ! de mon esquif agile

Une bombe en tombant brise le pont fragile…

Il éclate, il tournoie, il s’ouvre aux flots amers !

Ma bouche crie en vain, par les vagues couverte !

Adieu ! je vais trouver mon linceul d’algue verte,

Mon lit de sable au fond des mers.

« Mais non ! je me réveille enfin !… Mais quel mystère ?

Quel rêve affreux !… mon bras manque à mon cimeterre.

Quel est donc près de moi ce sombre épouvantail ?

Qu’entends-je au loin ?… des chœurs… sont-ce des voix de femmes ?

Des chants murmurés par des âmes ?

Ces concerts !… suis-je au ciel ?… — Du sang !… c’est le sérail ! »