I

Toujours lui ! Lui partout ! — Ou brûlante ou glacée,

Son image sans cesse ébranle ma pensée.

Il verse à mon esprit le souffle créateur.

Je tremble, et dans ma bouche abondent les paroles

Quand son nom gigantesque, entouré d’auréoles,

Se dresse dans mon vers de toute sa hauteur.

Là, je le vois, guidant l’obus aux bonds rapides,

Là, massacrant le peuple au nom des régicides,

Là, soldat, aux tribuns arrachant leurs pouvoirs,

Là, consul jeune et fier, amaigri par des veilles

Que des rêves d’empire emplissaient de merveilles,

Pâle sous ses longs cheveux noirs.

Puis, empereur puissant, dont la tête s’incline,

Gouvernant un combat du haut de la colline,

Promettant une étoile à ses soldats joyeux,

Faisant signe aux canons qui vomissent les flammes,

De son âme à la guerre armant six cent mille âmes,

Grave et serein, avec un éclair dans les yeux.

Puis, pauvre prisonnier, qu’on raille et qu’on tourmente,

Croisant ses bras oisifs sur son sein qui fermente,

En proie aux geôliers vils comme un vil criminel,

Vaincu, chauve, courbant son front noir de nuages,

Promenant sur un roc où passent les orages

Sa pensée, orage éternel.

Qu’il est grand, là surtout ! quand, puissance brisée,

Des porte-clefs anglais misérable risée,

Au sacre du malheur il retrempe ses droits,

Tient au bruit de ses pas deux mondes en haleine,

Et, mourant de l’exil, gêné dans Sainte-Hélène,

Manque d’air dans la cage où l’exposent les rois !

Qu’il est grand à cette heure où, prêt à voir Dieu même,

Son œil qui s’éteint roule une larme suprême !

Il évoque à sa mort sa vieille armée en deuil,

Se plaint à ses guerriers d’expirer solitaire,

Et, prenant pour linceul son manteau militaire,

Du lit de camp passe au cercueil !

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