I

Canaris ! Canaris ! pleure ! Cent vingt vaisseaux !

Pleure ! Une flotte entière ! — Où donc, démon des eaux,

Où donc était ta main hardie ?

Se peut-il que sans toi l’ottoman succombât ?

Pleure ! comme Crillon exilé d’un combat,

Tu manquais à cet incendie !

Jusqu’ici, quand parfois la vague de tes mers

Soudain s’ensanglantait, comme un lac des enfers,

D’une lueur large et profonde,

Si quelque lourd navire éclatait à nos yeux,

Couronné tout à coup d’une aigrette de feux,

Comme un volcan s’ouvrant dans l’onde ;

Si la lame roulait turbans, sabres courbés,

Voiles, tentes, croissants des mâts rompus tombés,

Vestiges de flotte et d’armée,

Pelisses de vizirs, sayons de matelots,

Rebuts stigmatisés de la flamme et des flots,

Blancs d’écume et noirs de fumée ;

Si partait de ces mers d’Égine ou d’Iolchos

Un bruit d’explosion, tonnant dans mille échos

Et roulant au loin dans l’espace,

L’Europe se tournait vers le rouge Orient ;

Et, sur la poupe assis, le nocher souriant

Disait : — C’est Canaris qui passe !

Jusqu’ici, quand brûlaient au sein des flots fumants

Les capitans-pachas avec leurs armements,

Leur flotte dans l’ombre engourdie,

On te reconnaissait à ce terrible jeu ;

Ton brûlot expliquait tous ces vaisseaux en feu ;

Ta torche éclairait l’incendie !

Mais pleure aujourd’hui, pleure, on s’est battu sans toi !

Pourquoi, sans Canaris, sur ces flottes, pourquoi

Porter la guerre et ses tempêtes ?

Du Dieu qui garde Hellé n’est-il plus le bras droit ?

On aurait dû l’attendre ! Et n’est-il pas de droit

Convive de toutes ces fêtes ?