VI

Où sont, enfants du Caire,

Ces flottes qui naguère

Emportaient à la guerre

Leurs mille matelots ?

Ces voiles, où sont-elles,

Qu’armaient les infidèles,

Et qui prêtaient leurs ailes

À l’ongle des brûlots ?

Où sont tes mille antennes,

Et tes hunes hautaines,

Et tes fiers capitaines,

Armada du sultan ?

Ta ruine commence,

Toi qui, dans ta démence,

Battais les mers, immense

Comme Léviathan !

Le capitan qui tremble

Voit éclater ensemble

Ces chébecs que rassemble

Alger ou Tetuan.

Le feu vengeur embrasse

Son vaisseau dont la masse

Soulève, quand il passe,

Le fond de l’Océan.

Sur les mers irritées,

Dérivent, démâtées,

Nefs par les nefs heurtées,

Yachts aux mille couleurs,

Galères capitanes,

Caïques et tartanes

Qui portaient aux sultanes

Des têtes et des fleurs.

Adieu, sloops intrépides,

Adieu, jonques rapides,

Qui sur les eaux limpides

Berçaient les icoglans !

Adieu la goëlette

Dont la vague reflète

Le flamboyant squelette,

Noir dans les feux sanglants !

Adieu la barcarolle

Dont l’humble banderole

Autour des vaisseaux vole,

Et qui, peureuse, fuit,

Quand du souffle des brises

Les frégates surprises,

Gonflant leurs voiles grises,

Déferlent à grand bruit !

Adieu la caravelle

Qu’une voile nouvelle

Aux yeux de loin révèle ;
Adieu le dogre ailé,

Le brick dont les amures

Rendent de sourds murmures,

Comme un amas d’armures

Par le vent ébranlé !

Adieu la brigantine,

Dont la voile latine

Du flot qui se mutine

Fend les vallons amers !

Adieu la balancelle

Qui sur l’onde chancelle,

Et, comme une étincelle,

Luit sur l’azur des mers !

Adieu lougres difformes,

Galéaces énormes,

Vaisseaux de toutes formes,

Vaisseaux de tous climats,

L’yole aux triples flammes,

Les mahonnes, les prames,

La felouque à six rames,

La polacre à deux mâts !

Chaloupes canonnières !

Et lanches marinières

Où flottaient les bannières

Du pacha souverain !

Bombardes que la houle,

Sur son front qui s’écroule,

Soulève, emporte et roule

Avec un bruit d’airain !

Adieu, ces nefs bizarres,

Caraques et gabarres,

Qui de leurs cris barbares

Troublaient Chypre et Délos !
Que sont donc devenues

Ces flottes trop connues ?

La mer les jette aux nues,

Le ciel les rend aux flots !

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