VII

Silence ! Tout est fait. Tout retombe à l’abîme.

L’écume des hauts mâts a recouvert la cime.

Des vaisseaux du sultan les flots se sont joués.

Quelques-uns, bricks rompus, prames désemparées,

Comme l’algue des eaux qu’apportent les marées,

Sur la grève noircie expirent échoués.

Ah ! c’est une victoire ! — Oui, l’Afrique défaite,

Le vrai Dieu sous ses pieds foulant le faux prophète,

Les tyrans, les bourreaux criant grâce à leur tour,

Ceux qui meurent enfin sauvés par ceux qui règnent,
Hellé lavant ses flancs qui saignent,

Et six ans vengés dans un jour !

Depuis assez longtemps les peuples disaient : « Grèce !

Grèce ! Grèce ! tu meurs. Pauvre peuple en détresse,

À l’horizon en feu chaque jour tu décroîs.

En vain, pour te sauver, patrie illustre et chère,

Nous réveillons le prêtre endormi dans sa chaire,

En vain nous mendions une armée à nos rois.

« Mais les rois restent sourds, les chaires sont muettes.

Ton nom n’échauffe ici que des cœurs de poëtes.

À la gloire, à la vie on demande tes droits.

À la croix grecque, Hellé, ta valeur se confie.

C’est un peuple qu’on crucifie !

Qu’importe, hélas ! sur quelle croix !

« Tes dieux s’en vont aussi. Parthénon, Propylées,

Murs de Grèce, ossements des villes mutilées,

Vous devenez une arme aux mains des mécréants.

Pour battre ses vaisseaux du haut des Dardanelles,

Chacun de vos débris, ruines solennelles,

Donne un boulet de marbre à leurs canons géants ! »

Qu’on change cette plainte en joyeuse fanfare !

Une rumeur surgit de l’Isthme jusqu’au Phare.

Regardez ce ciel noir plus beau qu’un ciel serein.

Le vieux colosse turc sur l’Orient retombe,

La Grèce est libre, et dans la tombe

Byron applaudit Navarin.

Salut donc, Albion, vieille reine des ondes !

Salut, aigle des czars qui planes sur deux mondes !

Gloire à nos fleurs de lys, dont l’éclat est si beau !

L’Angleterre aujourd’hui reconnaît sa rivale.

Navarin la lui rend. Notre gloire navale

À cet embrasement rallume son flambeau.

Je te retrouve, Autriche ! — Oui, la voilà, c’est elle !

Non pas ici, mais là, — dans la flotte infidèle.

Parmi les rangs chrétiens en vain on te chercha.

Nous surprenons, honteuse et la tête penchée,

Ton aigle au double front cachée

Sous les crinières d’un pacha !

C’est bien ta place, Autriche ! — On te voyait naguère

Briller près d’Ibrahim, ce Tamerlan vulgaire ;

Tu dépouillais les morts qu’il foulait en passant ;

Tu l’admirais, mêlée aux eunuques serviles,

Promenant au hasard sa torche dans les villes,

Horrible, et n’éteignant le feu qu’avec du sang.

Tu préférais ces feux aux clartés de l’aurore.

Aujourd’hui qu’à leur tour la flamme enfin dévore

Ses noirs vaisseaux, vomis des ports égyptiens,

Rouvre les yeux, regarde, Autriche abâtardie !

Que dis-tu de cet incendie ?

Est-il aussi beau que les siens ?

23 novembre 1827.

Share on Twitter Share on Facebook