XIX Sara la baigneuse

Le soleil et les vents, dans ces bocages sombres,
Des feuilles sur son front faisaient flotter les ombres.

Alfred de Vigny.

Sara, belle d’indolence,

Se balance

Dans un hamac, au-dessus

Du bassin d’une fontaine

Toute pleine

D’eau puisée à l’Ilyssus ;

Et la frêle escarpolette

Se reflète

Dans le transparent miroir,

Avec la baigneuse blanche

Qui se penche,

Qui se penche pour se voir.

Chaque fois que la nacelle,

Qui chancelle,

Passe à fleur d’eau dans son vol,

On voit sur l’eau qui s’agite

Sortir vite

Son beau pied et son beau col.

Elle bat d’un pied timide

L’onde humide

Où tremble un mouvant tableau,

Fait rougir son pied d’albâtre,

Et, folâtre,

Rit de la fraîcheur de l’eau.

Reste ici caché : demeure !

Dans une heure,

D’un œil ardent tu verras

Sortir du bain l’ingénue,

Toute nue,

Croisant ses mains sur ses bras.

Car c’est un astre qui brille

Qu’une fille

Qui sort d’un bain au flot clair,

Cherche s’il ne vient personne,

Et frissonne,

Toute mouillée au grand air.

Elle est là, sous la feuillée,

Éveillée

Au moindre bruit de malheur ;

Et rouge, pour une mouche

Qui la touche,

Comme une grenade en fleur.

On voit tout ce que dérobe

Voile ou robe ;

Dans ses yeux d’azur en feu,

Son regard que rien ne voile

Est l’étoile

Qui brille au fond d’un ciel bleu.

L’eau sur son corps qu’elle essuie

Roule en pluie,

Comme sur un peuplier ;

Comme si, gouttes à gouttes,

Tombaient toutes

Les perles de son collier.

Mais Sara la nonchalante

Est bien lente

À finir ses doux ébats ;

Toujours elle se balance

En silence,

Et va murmurant tout bas :

« Oh ! si j’étais capitane,

Ou sultane,

Je prendrais des bains ambrés,

Dans un bain de marbre jaune,

Près d’un trône,

Entre deux griffons dorés !

« J’aurais le hamac de soie

Qui se ploie

Sous le corps prêt à pâmer ;

J’aurais la molle ottomane

Dont émane

Un parfum qui fait aimer.

« Je pourrais folâtrer nue,

Sous la nue,

Dans le ruisseau du jardin,

Sans craindre de voir dans l’ombre

Du bois sombre

Deux yeux s’allumer soudain.

« Il faudrait risquer sa tête

Inquiète,

Et tout braver pour me voir,

Le sabre nu de l’heiduque,

Et l’eunuque

Aux dents blanches, au front noir !

« Puis, je pourrais, sans qu’on presse

Ma paresse,

Laisser avec mes habits

Traîner sur les larges dalles

Mes sandales

De drap brodé de rubis. »

Ainsi se parle en princesse,

Et sans cesse

Se balance avec amour,

La jeune fille rieuse,

Oublieuse

Des promptes ailes du jour.

L’eau, du pied de la baigneuse

Peu soigneuse,

Rejaillit sur le gazon,

Sur sa chemise plissée,

Balancée

Aux branches d’un vert buisson.

Et cependant des campagnes

Ses compagnes

Prennent toutes le chemin.

Voici leur troupe frivole

Qui s’envole

En se tenant par la main.

Chacune, en chantant comme elle,

Passe, et mêle

Ce reproche à sa chanson :

— Oh ! la paresseuse fille

Qui s’habille

Si tard un jour de moisson !

Juillet 1828.