Je vis les quatre vents passer.

Je vis les quatre vents passer. — Ô vents, leur dis-je,

Vents des cieux ! croyez-vous avoir seuls un quadrige ?

Autans ! Masques hagards, tumultueux démons,

Croyez-vous pouvoir seuls aller des mers aux monts ?

Croyez-vous seuls pouvoir quitter pour la montagne

Les vagues que l’écume éternelle accompagne,

Fuir, puis, d’un coup de tête effrayant, revenir

À l’ombre où l’on entend ces cavales hennir,

Et vous en retourner soudain, brusques méduses,

Aux cimes dans l’aurore éclatante diffuses,

Et de là crier Gloire ! aux quatre coins du ciel ?

Ces allures d’éclair, ce vol torrentiel,

L’esprit humain les a comme vous, vents tragiques ;

Comme vous le printemps, il a ses géorgiques ;

Il est l’âcre Archiloque et le Hamlet amer ;

Il gonfle l’Iliade ainsi que vous la mer.

L’homme peut de l’abîme effarer la prunelle.

L’âme a comme le ciel quatre souffles en elle ;

L’âme a ses pôles ; l’âme a ses points cardinaux.

Vents ! dragons qui sur nous tordez vos bleus anneaux,

Et qui vous dispersez avec tant de furie

Depuis le hurlement jusqu’à la rêverie,

L’esprit humain n’est pas moins aquilon que vous.

Comme vous il est vie, amour, joie et courroux.

Ses strophes ne sont pas plus vite exténuées

Dans leur vol à travers l’azur que vos nuées ;

Un vers court par-dessus les tours et les remparts

Mieux que l’errante bise aux longs cheveux épars ;

Et le poëte, ouvrant ses intègres registres,

Ne met pas plus de temps que vous, ô vents sinistres,

Pour essuyer sa bouche et changer de clairon.

Comme vous sur la peste, il souffle sur Néron ;

Il parle bas aux saints pensifs au fond des grottes ;

Il donne une attitude inquiète aux despotes ;

La pensée est un aigle à quatre ailes, qui va

Du gouffre où Noé flotte à l’île où Jean rêva ;

Et chacun de ses grands ailerons, Épopée,

Drame, Ode, Iambe ardent, coupe comme l’épée.

Le génie a sur lui, dans sa guerre aux fléaux,

Toute l’éclaboussure affreuse du chaos,

Écume, fange, sang, bave, et pas une tache.

Il est un et divers. L’idéal se rattache

Comme une croix immense aux quatre angles des cieux.

Le grand char de l’Esprit roule sur quatre essieux.

Notre âme comme vous, ô vents, groupe sonore,

A son nord, son midi, son couchant, son aurore ;

Car c’est par la clarté qu’en ce monde âpre et beau

L’homme finit, son aube étant dans le tombeau.

Le poète est pasteur, juge, prophète, apôtre ;

En quatre pas, il peut aller d’un bout à l’autre

De l’art sublime, ainsi que vous de l’horizon ;

Et comme vous, s’il est terrible, il a raison ;

Sa sagesse et la vôtre ont un air de délire.

L’ombre a tout l’ouragan, l’âme a toute la lyre.

H.-H. — 3 juin 1870.

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