Les Mêmes, ZABETH, L’ABBÉ, LE DUC DE CRÉQUI, LE DUC DE MONTBAZON, LORS EFFINGHAM, LE MARQUIS DE COCHEFILET, LE VICOMTE DE THOUARS, LE DOCTEUR, seigneurs et gentilshommes.
Tous, en arrivant, saluent Gallus, qui donne la main à quelques-uns.
L’ABBÉ, chantant et dansant. Les bœufs aux champs, La Prusse est en colère, L’Autriche n’est pas claire, Qu’ils s’en aillent lanlaire. Commère, Les bœufs aux champs ! Ô belle bocagère, Va couper la fougère, Ôte tes bas, bergère, Les sentiers sont bourbeux. Commère, Aux champs les bœufs ! |
Zabeth en entrant jette sur un fauteuil sa faille et son manchon. Elle tire du manchon son éventail et le pli que lui a remis Sillette à sa sortie. Gallus la salue d’un signe de tête, et Gunich d’une profonde révérence. Gallus se met à causer avec le docteur. Les jeunes gens entourent Zabeth.
LORD EFFINGHAM.
Vous avez là, marquise, une mouche assassine.
LE DUC DE MONTBAZON.
Mes enfants, mon talent à moi, c’est la cuisine.
ZABETH.
De là ce cordon bleu.
LE VICOMTE DE THOUARS.
De là ce cordon bleu. J’arrive du sermon.
L’ABBÉ, posant la guitare sur un pliant.
Je n’y vais plus. On dit trop de mal du démon.
On exagère.
LE VICOMTE.
On exagère. Oh oui ! L’abbé Maury, du reste,
Tonne agréablement. Voltaire, Œdipe, Oreste,
La vierge d’Orléans, les juifs, les mécréants…
ZABETH.
Qu’est-ce que c’est que ça, la vierge d’Orléans ?
LE VICOMTE, continuant.
Il prêche à lui tout seul comme les douze apôtres.
À Zabeth.
Vous autres n’êtes pas admises là.
ZABETH, à part.
Vous autres n’êtes pas admises là. Vous autres !
LE DUC DE CRÉQUI.
La vierge, autrement dit la pucelle. Cela
N’a jamais existé. Des vierges, oh la la !
Il rit.
Grande, la femme est fille ; enfant, elle est poupée.
Une vierge ! on n’en voit jamais !
ZABETH.
Une vierge ! on n’en voit jamais ! Bah ! votre épée.
Le duc de Créqui pirouette dédaigneusement et lui tourne le dos.
LE DUC DE CRÉQUI, au vicomte de Thouars.
La Duthé dans un bal t’a, dit-on, maltraité.
LE VICOMTE.
Et j’ai fait mettre au For-l’évêque la Duthé,
Vu que je suis Rohan.
ZABETH, à part, regardant le baronnet.
Vu que je suis Rohan. Breton du premier ordre.
L’ABBÉ, à Zabeth, lui montrant les seigneurs.
Dieu fit vos dents pour rire et fit les leurs pour mordre.
ZABETH, à l’abbé, montrant le duc de Créqui.
D’où vient que ce petit est duc ?
L’ABBÉ.
D’où vient que ce petit est duc ? Le droit du sang.
Il était digne d’être opulent et puissant,
N’ayant rien dans le cœur ni dans l’âme. Il hérite
D’un oncle. On a toujours les oncles qu’on mérite.
ZABETH, à lord Effingham.
À propos, je reçois des sonnets.
LORD EFFINGHAM.
À propos, je reçois des sonnets. Des sonnets !
ZABETH, à Gallus.
Laclos prête sa femme au duc de Nivernais.
Que dites-vous d’un homme acceptant cet opprobre ?
GALLUS, continuant sa conversation comme s’il n’entendait pas Zabeth.
Les pléiades, docteur, qu’on voyait en octobre
À l’est, sont maintenant à l’ouest. Sans Képler
Cela serait obscur ; grâce à lui, c’est très clair.
ZABETH, insistant, à Gallus.
Le duc lui prend sa femme.
GALLUS, s’asseyant.
Le duc lui prend sa femme. Eh bien ! Il l’a conquise.
On est très bien assis dans vos fauteuils, marquise.
Dites-moi donc le nom de votre tapissier.
Il se tourne vers les petits seigneurs épars et causant autour de lui.
Allons-nous voir ce soir Brizard officier
En grand prêtre tragique ? On donne Montezume.
Il se remet à causer avec le docteur.
LE VICOMTE DE THOUARS, au duc de Montbazon.
Montrant Zabeth.
Nous sommes tous ici ses amants, je présume.
Le duc ne s’aperçoit de rien. Vois comme il rit.
LE DUC DE MONTBAZON.
Il s’aperçoit de tout, mais il a de l’esprit.
LE DUC DE CRÉQUI, au vicomte.
Le crois-tu bête au point d’aimer cette donzelle ?
Zabeth prête l’oreille.
ZABETH, à part.
Donzelle !
LE DUC DE CRÉQUI, au vicomte de Thouars.
Donzelle ! Vois-tu bien, celle qu’on paie et celle
Qu’on aime, c’est deux.
LE VICOMTE DE THOUARS.
Qu’on aime, c’est deux. Mais d’autres sont fort épris.
LE DUC DE CRÉQUI.
Pas lui.
LE VICOMTE DE THOUARS, montrant la crédence.
Pas lui. Vois ces cadeaux.
LE DUC DE CRÉQUI, regardant les diamants.
Pas lui. Vois ces cadeaux. L’écrin est d’un grand prix,
Certe !
L’ABBÉ, flairant le bouquet.
Certe ! En hiver, des fleurs de serre !
ZABETH, à Gallus.
Certe ! En hiver, des fleurs de serre ! Votre altesse
Est poëte.
GALLUS.
Est poëte. Jamais.
ZABETH, lui tendant le pli qu’elle a à la main.
Est poëte. Jamais. Lisez donc ceci.
GALLUS.
Est poëte. Jamais. Lisez donc ceci. Qu’est-ce ?
Il prend le papier et y jette un coup d’œil.
Des vers. Fi donc !
ZABETH.
Des vers. Fi donc ! Comment les trouvez-vous ?
GALLUS, les parcourant négligemment.
Des vers. Fi donc ! Comment les trouvez-vous ? Mauvais.
ZABETH.
Vous les trouveriez bons si vous les aviez faits.
GALLUS.
Dieu m’en garde.
ZABETH.
Dieu m’en garde. Ces vers sont jolis.
GALLUS.
Dieu m’en garde. Ces vers sont jolis. Plats.
ZABETH.
Dieu m’en garde. Ces vers sont jolis. Plats. Vous êtes
Contrariant.
GALLUS.
Contrariant. Des vers d’amour sont toujours bêtes.
L’abbé se remet à flairer les roses de Chine.
L’ABBÉ, se retournant vers Zabeth.
Beau bouquet !
LE DOCTEUR, à Zabeth.
Beau bouquet ! Qui vous l’a donné ?
ZABETH, montrant le bouquet à Gallus.
Beau bouquet ! Qui vous l’a donné ? Qu’en dites-vous ?
GALLUS.
C’est un de ces bouquets qu’on a pour trente sous
Chez la fleuriste au coin du pavillon d’Hanovre.
L’ABBÉ, admirant les diamants.
Bel écrin !
ZABETH.
Bel écrin ! Je ne sais qui me l’envoie.
GALLUS.
Bel écrin ! Je ne sais qui me l’envoie. Un pauvre
Évidemment. Écrin médiocre, et fané.
ZABETH.
Vous le trouveriez beau si vous l’aviez donné.
LE MARQUIS DE COCHEFILET, à Zabeth.
À propos, des hautbois dans un parc, c’est classique,
Les jardins d’aujourd’hui sont faits pour la musique,
J’aime les violons dans les bois, et l’écho
Des cors de chasse au fond des grottes rococo.
Vous offre-t-on toujours une aubade ?
ZABETH.
Vous offre-t-on toujours une aubade ? Oui.
GALLUS.
Vous offre-t-on toujours une aubade ? Oui. C’est fade.
Je ne sais de qui peut vous venir cette aubade.
C’était joli jadis, mais la mode en passa.
ZABETH.
Si c’était de vous, duc, vous ne diriez pas ça.
GUNICH, à part, observant Gallus.
Il a bien dépisté Zabeth.
ZABETH.
Il a bien dépisté Zabeth. Moi, je déclare
Ces fleurs belles, ces vers charmants, cet écrin rare.
L’aubade, comme un chant des anges affaibli,
Me berce, et le matin m’apporte un peu d’oubli.
C’est anonyme. Soit. Moi, pour ne rien vous taire,
Si je savais qui m’offre, avec tant de mystère,
Tant de galanterie, oui, je pourrais…
GALLUS.
Tant de galanterie, oui, je pourrais… Eh bien ?
ZABETH.
L’aimer.
LORD EFFINCHAM.
L’aimer. Ils sont plusieurs.
LE DUC DE CRÉQUI.
L’aimer. Ils sont plusieurs. Oh ! cela ne fait rien.
À Gallus.
Hein ? Si nous savions qui, les bonnes gorges chaudes !
GALLUS.
À part.
Comme ils riraient ! —
Comme ils riraient ! — Haut.
Comme ils riraient ! — Les vers, les fleurs, les émeraudes,
Et les aubades, peuh !
Il hausse les épaules et pirouette sur ses talons.
ZABETH.
Et les aubades, peuh ! Toujours vous me froissez,
Monseigneur. On dirait que vous me haïssez.
GALLUS, froid.
Non.
ZABETH.
Non. Mais ça m’est égal.
LE DUC DE MONTBAZON, à Zabeth.
Non. Mais ça m’est égal. La haine, c’est province.
L’ABBÉ, à Zabeth.
Ne point aimer, ne point haïr, c’est être prince.
LE MARQUIS, au duc de Créqui.
Duc, en raillant l’estoc dont tu nous éblouis,
Elle éclabousse un peu ta croix de Saint-Louis.
LE DUC DE CRÉQUI.
De sa boue.
Il rit et regarde Zabeth.
LE MARQUIS.
De sa boue. Elle entend. Prends garde. Tu la blesses.
LE DUC DE CRÉQUI.
Qu’est-ce que ça me fait, ces drôlesses ?
ZABETH, aux écoutes, à part.
Qu’est-ce que ça me fait, ces drôlesses ? Drôlesses !
Ricanements autour de Zabeth. Gallus fait un signe. Tous s’approchent de lui.
Zabeth reste seule à l’autre coin du boudoir.
GALLUS, à demi-voix, au groupe des gentilshommes.
Je n’ai pas le travers, qu’ont les gens fatigués,
D’empêcher, étant vieux, les jeunes d’être gais.
Riez. —
Riez. — Au duc de Créqui.
Riez. — Pourvu, monsieur le duc et pair de France,
Que cela n’aille pas jusqu’à la transparence.
Les femmes ! y compris la reine, j’ai souci
De toutes ces margots autant que de ceci ;
Il fait claquer ses doigts.
Mais une étant chez moi, l’on ne doit pas en rire.
Nous sommes bons amis. Je ne trouve à redire
Qu’à de certains clins d’yeux railleurs. Messieurs, milords,
C’est compris, n’est-ce pas ? car, autrement, alors
Il faudrait voir un peu la pointe des épées.
Il s’approche de Zabeth et lui montre le paysage nocturne au dehors.
Ah ! madame, admirez ces belles échappées
De clair de lune au fond de ces arbres ! La nuit
Est un profond concert que gâte notre bruit.
Ce monde, l’homme ôté, serait beau.
Il revient vers le groupe des gentilshommes.
Ce monde, l’homme ôté, serait beau. Mais, j’y pense,
messieurs, la comédie à huit heures commence.
LE DOCTEUR, tirant sa montre.
Neuf heures.
GALLUS.
Neuf heures. Hâtons-nous, si nous voulons la voir.
N’y venons-nous pas tous ?
ZABETH, à Gallus.
N’y venons-nous pas tous ? Pas vous. Pas moi. Ce soir
Vous soupez tête à tête avec moi.
GALLUS.
Vous soupez tête à tête avec moi. Tête à tête !
La surprise est charmante, et c’est toute une fête.
Messieurs, vous entendez. Je vous laisse partir.
À Zabeth.
Je reste.
LE DUC DE MONTBAZON.
Je reste. Comme il va s’ennuyer !
LE DUC DE CRÉQUI.
Je reste. Comme il va s’ennuyer ! Ô martyr !
Tous saluent Gallus et sortent.
Zabeth va à la cheminée et sonne. La porte de droite s’ouvre à deux battants. Entre Sillette, suivie de quatre laquais portant une table à deux couverts sur laquelle est servi un en-cas. Gibier. Vins. Cristaux. Au centre, un surtout de table en vermeil avec deux girandoles allumées.
Les valets posent la table au centre du boudoir, et placent un fauteuil devant chacun des couverts qui se font vis-à-vis.
Zabeth fait signe à Sillette et aux valets de sortir. Elle ôte et jette sur un sofa sa pelisse de soie et de martre, sous laquelle elle est décolletée, avec un collier et des bracelets de pierreries.
Elle montre à Gallus un des deux fauteuils et s’assied sur l’autre.