I

Semons ce qui demeure, ô passants que nous sommes !

Le sort est un abîme, et ses flots sont amers.

Au bord du noir destin, frères, semons des hommes,

Et des chênes au bord des mers !

Nous sommes envoyés, bannis, sur ce calvaire,

Pour être vus de loin, d’en bas, par nos vainqueurs,

Et pour faire germer par l’exemple sévère

Des cœurs semblables à nos cœurs.

Et nous avons aussi le devoir, ô nature,

D’allumer des clartés sous ton fauve sourcil,

Et de mettre à ces rocs la grande signature

De l’avenir et de l’exil.

Sachez que nous pouvons faire sortir de terre

Le chêne triomphal que l’univers attend,

Et faire frissonner dans son feuillage austère

L’idée au sourire éclatant.

La matière aime et veut que notre appel l’émeuve ;

Le globe est sous l’esprit, et le grand verbe humain

Enseigne l’être, et l’onde, et la sève, et le fleuve,

Qui lui demandent leur chemin.

L’homme, quand il commande aux flots de le connaître,

Aux mers de l’écouter dans le bruit qu’elles font,

À la terre d’ouvrir son flanc, aux temps de naître,

Est un mage immense et profond.

Ayons foi dans ce germe ! Amis, il nous ressemble.

Il sera grand et fort, puisqu’il est faible et nu.

Nous sommes ses pareils, bannis, nous en qui tremble

Tout un vaste monde inconnu !

Nous fûmes secoués d’un arbre formidable,

Un soir d’hiver, à l’heure où le monde est puni,

Nous fûmes secoués, frères, dans l’insondable,

Dans l’ouragan, dans l’infini.

Chacun de nous contient le chêne République ;

Chacun de nous contient le chêne Vérité ;

L’oreille qui, pieuse, à nos malheurs s’applique,

T’entend sourdre en nous, Liberté !

Tu nous jettes au vent, Dieu qui par nous commences !

C’est bien. Nous disperser, ô Dieu, c’est nous bénir !

Nous sommes la poignée obscure des semences

Du sombre champ de l’avenir.

Et nous y germerons, n’en doutez pas, mes frères,

Comme en ce sable, au bord des flots prompts à s’enfler,

Croîtra, parmi les flux et les reflux contraires,

Ce gland, sur qui Dieu va souffler !

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