II

Ô nature, il s’agit de faire un arbre énorme,

Mouvant comme aujourd’hui, puissant comme demain,

Figurant par sa feuille et sa taille et sa forme

La croissance du genre humain !

Il s’agit de construire un chêne aux bras sans nombre,

Un grand chêne qui puise avec son tronc noueux

De la nuit dans la terre et qui force cette ombre

À s’épanouir dans les cieux !

Il s’agit de bâtir cette œuvre collective

D’un chêne altier, auguste, et par tous conspiré,

L’homme y mettant son souffle et l’océan sa rive,

Et l’astre son rayon sacré !

Nature, que je sens saigner par nos fêlures,

Dont l’âme est le foyer où nous nous réchauffons,

Et dont on voit la nuit les vagues chevelures

Flotter dans les souffles profonds,

Nous confions cet arbre à tes entrailles, mère !

Fais-le si grand, qu’égal aux vieux cèdres d’Hébron,

Il ne distingue pas l’aigle de l’éphémère

Et la foudre du moucheron ;

Et qu’un jour le passant, quand luira l’aube calme

De l’affranchissement des peuples sous les cieux,

Croie, en le voyant, voir la gigantesque palme

De cet effort prodigieux !

Nous te le confions, plage aux voix étouffées.

Ô sinistre océan, nous te le confions ;

Nous confions le chêne adoré des Orphées

Aux flots qu’aimaient les Amphions !

Nuages, firmaments, pléiades protectrices,

Écumes, durs granits, sables craints des sondeurs,

Nous vous le confions ; et soyez ses nourrices,

Ténèbres, clartés, profondeurs !

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