V

Oh ! reviens ! printemps ! fanfare

Des parfums et des couleurs !

Toute la plaine s’effare

Dans une émeute de fleurs.

La prairie est une fête ;

L’âme aspire l’air, le jour,

L’aube, et sent qu’elle en est faite ;

L’azur se mêle à l’amour.

On croit voir, tant avril dore

Tout de son reflet riant,

Éclore au rosier l’aurore

Et la rose à l’orient.

Comme ces aubes de flamme

Chassent les soucis boudeurs !

On sent s’ouvrir dans son âme

De charmantes profondeurs.

On se retrouve heureux, jeune,

Et, plein d’ombre et de matin,

On rit de l’hiver, ce jeûne,

Avec l’été, ce festin.

Oh ! mon cœur loin de ces grèves

Fuit et se plonge, insensé,

Dans tout ce gouffre de rêves

Que nous nommons le passé !

Je revois mil huit cent douze,

Mes frères petits, le bois,

Le puisard et la pelouse,

Et tout le bleu d’autrefois.

Enfance ! Madrid ! campagne

Où mon père nous quitta !

Et dans le soleil, l’Espagne !

Toi dans l’ombre, Pepita !

Moi, huit ans, elle le double ;

En m’appelant son mari,

Elle m’emplissait de trouble… —

Ô rameaux de mai fleuri !

Elle aimait un capitaine ;

J’ai compris plus tard pourquoi,

Tout en l’aimant, la hautaine

N’était douce que pour moi.

Elle attisait son martyre

Avec moi, pour l’embraser,

Lui refusait un sourire

Et me donnait un baiser.

L’innocente, en sa paresse,

Se livrant sans se faner,

Me donnait cette caresse

Afin de ne rien donner.

Et ce baiser économe,

Qui me semblait généreux,

Rendait jaloux le jeune homme,

Et me rendait amoureux.

Il partait, la main crispée ;

Et, me sentant un rival,

Je méditais une épée

Et je rêvais un cheval.

Ainsi, du bout de son aile

Touchant mon cœur nouveau-né,

Gaie, ayant dans sa prunelle

Un doux regard étonné,

Sans savoir qu’elle était femme,

Et riant de m’épouser,

Cet ange allumait mon âme

Dans l’ombre avec un baiser.

Mal ou bien, épine ou rose,

À tout âge, sages, fous,

Nous apprenons quelque chose

D’un enfant plus vieux que nous.

Un jour la pauvre petite

S’endormit sous le gazon… —

Comme la nuit tombe vite

Sur notre sombre horizon !

15 janvier 1855.

Share on Twitter Share on Facebook