II

Mais, hélas ! juillet fait sa gerbe ;

L’été, lentement effacé,

Tombe feuille à feuille dans l’herbe

Et jour à jour dans le passé.

Puis octobre perd sa dorure ;

Et les bois dans les lointains bleus

Couvrent de leur rousse fourrure

L’épaule des coteaux frileux.

L’hiver des nuages sans nombre

Sort, et chasse l’été du ciel,

Pareil au temps, ce faucheur sombre

Qui suit le semeur éternel !

Le pauvre alors s’effraie te prie.

L’hiver, hélas ! c’est Dieu qui dort ;

C’est la faim livide et maigrie

Qui tremble auprès du foyer mort !

Il croit voir une main de marbre

Qui, mutilant le jour obscur,

Retire tous les fruits de l’arbre

Et tous les rayons de l’azur.

Il pleure, la nature est morte !

Ô rude hiver ! ô dure loi !

Soudain un ange ouvre sa porte

Et dit en souriant : C’est moi !

Cet ange qui donne et tremble,

C’est l’aumône aux yeux de douceur,

Au front crédule, et qui ressemble

À la foi dont elle est la sœur !

« Je suis la Charité, l’amie

Qui se réveille avant le jour,

Quand la nature est rendormie,

Et que Dieu m’a dit : À ton tour !

« Je viens visiter ta chaumière

Veuve de l’été si charmant !

Je suis fille de la prière.

J’ai des mains qu’on ouvre aisément.

« J’accours ! car la saison est dure.

j’accours, car l’indigent a froid

J’accours, car la tiède verdure

Ne fait plus d’ombre sur le toit !

« je prie, et jamais je n’ordonne.

Chère à tout homme quel qu’il soit,

Je laisse la joie à qui donne

Et je l’apporte à qui reçoit. »

Ô figure auguste et modeste,

Où le Seigneur mêla pour nous

Ce que l’ange a de plus céleste,

Ce que la femme a de plus doux !

Au lit du vieillard solitaire

Elle penche un front gracieux,

Et rien n’est plus beau sur la terre,

Et rien n’est plus grand sous les cieux

Lorsque, réchauffant leurs poitrines

Entre ses genoux triomphants,

Elle tient dans ses mains divines

Les pieds nus des petits enfants !

Elle va dans chaque masure,

Laissant au pauvre réjoui

Le vin, le pain frais, l’huile pure,

Et le courage épanoui !

Et le feu ! le beau feu folâtre,

A la pourpre ardente pareil,

Qui fait qu’amené devant l’âtre

L’aveugle croit rire au soleil !

Puis elle cherche au coin des bornes,

Transis par la froide vapeur,

Ces enfants qu’on voit nus et mornes

Et se mourant avec stupeur.

Oh ! voilà surtout ceux qu’elle aime !

Faibles fronts dans l’ombre engloutis,

Parés d’un triple diadème,

Innocents, pauvres et petits !

Ils sont meilleurs que nous ne sommes !

Elle leur donne, en même temps,

Avec le pain qu’il faut aux hommes,

Le baiser qu’il faut aux enfants !

Tandis que leur faim secourue

Mange ce pain de pleurs noyé,
Elle étend sur eux dans la rue

Son bras de passants coudoyé.

Et si, le front dans la lumière,

Un riche passe en ce moment,

Par le bord de sa robe altière

Elle le tire doucement !

Puis pour eux elle prie encore

La grande foule au cœur étroit,

La foule qui, dès qu’on l’implore,

S’en va comme l’eau qui décroît.

« Oh ! malheureux celui qui chante

Un chant joyeux, peut-être impur,

Pendant que la bise méchante

Mord un pauvre enfant sous son mur !

« Oh ! la chose triste et fatale,

Lorsque chez le riche hautain

Un grand feu tremble dans la salle,

Reflété par un grand festin,

« De voir, quand l’orgie enrouée

Dans la pourpre s’égaie et rit,

À peine une toile trouée

Sur les membres de Jésus-Christ !

« Oh ! donnez-moi pour que je donne !

J’ai des oiseaux nus dans mon nid.

Donnez, méchants, Dieu vous pardonne !

Donnez, ô bons, Dieu vous bénit !

« Heureux ceux que mon zèle enflamme !

Qui donne aux pauvres prête à Dieu !

Le bien qu’on fait parfume l’âme ;

On s’en souvient toujours un peu !

« Le soir, au seuil de sa demeure,

Heureux celui qui sait encor

Ramasser un enfant qui pleure,

Comme un avare un sequin d’or !

« Le vrai trésor rempli de charmes,

C’est un groupe pour vous priant

D’enfants qu’on a trouvés en larmes

Et qu’on a laissés souriant !

« Les biens que je donne à qui m’aime,

Jamais Dieu ne les retira.

L’or que sur le pauvre je sème

Pour le riche au ciel germera ! »

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