X

Nous, pasteurs des esprits, qui, du bord du chemin,

Regardons tous les pas que fait le genre humain,

Poëtes, par nos chants, penseur, par nos idées,

Hâtons vers la raison les âmes attardées !

Hâtons l’ère où viendront s’unir d’un nœud loyal

Le travail populaire et le labeur royal,

Où colère et puissance auront fait leur divorce,

Où tous ceux qui sont forts auront peur de leur force,

Et d’un sain tremblement frémiront à la fois,

Rois, devant leurs devoirs, peuples, devant leurs droits !

Aidons tous ces grands faits que le Seigneur envoie

Pour ouvrir une route ou pour clore une voie,

Les révolutions dont la surface bout,

Les changements soudains qui font vaciller tout,

A dégager du fond des nuages de l’âme,

A poser au-dessus des lois comme une flamme

Ce sentiment profond en nous tous replié

Que l’homme appelle doute et la femme pitié !

Expliquons au profit de la sainte clémence

Ces hauts évènements où l’état recommence,

Et qui font, quand l’œil va des vaincus aux vainqueurs,

Trembler la certitude humaine au fond des cœurs !

Faisons venir bientôt l’heure où l’on pourra dire

Que sur le froid sépulcre on ne doit rien écrire

Hors des mots de pardon, d’espérance et de paix ;

Et que, l’empereur mort comme les vieux Capets,

On a tort d’exiler, lorsque rien ne bouillonne,

Eux de leur Saint-Denis et lui de sa colonne.

A quoi sert, Dieu clément, cette vaine action !

Et comment se fait-il que la proscription

Ne brise pas ses dents au marbre de la tombe ?

N’est-ce donc pas assez que, cygne, aigle ou colombe,

Dès qu’un vent de malheur lui jette un nid de rois,

Sortant de ce bois noir qu’on appelle les lois,

Cette hyène, acharnée aux grandes races mortes,

Vienne, là, sous nos murs, les ronger à nos portes !

Un jour, — mais nous serons couchés sous le gazon

Quand cette aube de Dieu blanchira l’horizon ! –

Un jour on comprendra, même en changeant de règne,

Qu’aucune loi ne peut, sans que l’équité saigne,

Faire expier à tous ce qu’a commis un seul,

Et faire boire au fils ce qu’a versé l’aïeul.

On fera ce que nul aujourd’hui ne peut faire.

Quand un aiglon royal tombera de sa sphère,

On ne l’abattra pas sur l’aigle foudroyé.

Et, tout en gardant bien le droit qu’il a payé

De mettre le pouvoir sur un front comme un signe

Et de donner le trône et le Louvre au plus digne,

Un grand peuple pourra, sans être épouvanté,

Voir un enfant de plus jouer dans la cité.

Car tous les cœurs diront : C’est une juste aumône

De laisser la patrie à qui n’a plus le trône !

Alors, jetant enfin l’ancre dans un port sûr,

Ayant les biens germés sur nos maux, et l’azur

Du ciel nouveau dont Dieu nous donne la tempête,

Proscription ! nos fils broieront du pied ta tête !

Démon qui tiens du tigre et qui tiens du serpent !

Dans les prospérités invisible et rampant,

Qui, lâche et patient, épiant en silence

Ce que dans son palais le roi dit, rêve, ou pense,

Horrible, en attendant l’heure d’être lâché,

Vis, monstre ténébreux, sous le trône caché !

---

O poésie ! au ciel ton vol se réfugie

Quand les partis hurlants luttent à pleine orgie,

Quand la nécessité sous son code étouffant

Brise le fort, le faible, hélas ! l’innocent même,

Et sourde et sans pitié promène l’anathème

Du front blanc du vieillard au front pur de l’enfant !

Tu fuis alors à tire d’aile

Vers le ciel éternel et pur,

Vers la lumière à tous fidèle,

Vers l’innocence, vers l’azur !

Afin que ta pureté fière

N’ait pas la fange et la poussière

Des vils chemins par nous frayés,

Et que, nuages et tempêtes,

Tout ce qui passe sur nos têtes

Ne puisse passer qu’à tes pieds !

Tu sais qu’étoile sans orbite,

L’homme erre au gré de tous les vents ;

Tu sais que l’injustice habite

Dans la demeure des vivants ;

Et que nos cœurs sont des arènes

Où les passions souveraines,

Groupe horrible en vain combattu,

Lionnes, louves affamées,

Tigresses de taches semées,

Dévorent la chaste vertu !

Tout ce qui souffre est plein de haine.

Tout ce qui vit traîne un remords.

Les morts seuls ont rompu leur chaîne.

Tout est méchant, hormis les morts !

Aussi, voyant partout la vie

Palpiter de rage et d’envie,

Et que parmi nous rien n’est beau,

Si parfois, oiseau solitaire,

Tu redescends sur cette terre,

Tu te poses sur un tombeau !

15 avril 1837

Qui la caresse et qui la sert.

A l'abri d'un porche héraldique

Sous un beau feuillage pudique

Il la cache jusqu'au nombril;

Et sous son pied blanc et superbe

Étend les mille fleurs de l'herbe,

Cette mosaïque d'avril!

La mémoire des morts demeure

Dans les monuments ruinés.

Là, douce et clémente, à toute heure,

Elle parle aux fronts inclinés.

Elle est là, dans l'âme affaissée

Filtrant de pensée en pensée,

Comme une nymphe au front dormant

Qui, seule sous l'obscure voûte

D'où son eau suinte goutte à goutte,

Penche son vase tristement!

Share on Twitter Share on Facebook