XXVII

Quand le poète peint l’enfer, il peint sa vie :

Sa vie, ombre qui fuit de spectres poursuivie ;

Forêt mystérieuse où ses pas effrayés

S’égarent à tâtons hors des chemins frayés ;

Noir voyage obstrué de rencontres difformes ;

Spirale aux bords douteux, aux profondeurs énormes,

Dont les cercles hideux vont toujours plus avant

Dans une ombre où se meut l’enfer vague et vivant !

Cette rampe se perd dans la brume indécise ;

Au bas de chaque marche une plainte est assise,

Et l’on y voit passer avec un faible bruit

Des grincements de dents blancs dans la sombre nuit.

Là sont les visions, les rêves, les chimères ;

Les yeux que la douleur change en sources amères,

L’amour, couple enlacé, triste, et toujours brûlant,

Qui dans un tourbillon passe une plaie au flanc ;

Dans un coin la vengeance et la faim, sœurs impies,

Sur un crâne rongé côte à côte accroupies ;

Puis la pâle misère au sourire appauvri ;

L’ambition, l’orgueil, de soi-même nourri,

Et la luxure immonde, et l’avarice infâme,

Tous les manteaux de plomb dont peut se charger l’âme !

Plus loin, la lâcheté, la peur, la trahison

Offrant des clefs à vendre et goûtant du poison ;

Et puis, plus bas encore, et tout au fond du gouffre,

Le masque grimaçant de la Haine qui souffre !

Oui, c’est bien là la vie, ô poète inspiré,

Et son chemin brumeux d’obstacles encombré.

Mais, pour que rien n’y manque, en cette route étroite

Vous nous montrez toujours debout à votre droite

Le génie au front calme, aux yeux pleins de rayons,

Le Virgile serein qui dit : Continuons !

6 août 1836

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