I

« Te voilà donc, ô toi dont la foule rampante

Admirait la vertu,

Déraciné, flétri, tombé sur une pente

Comme un cèdre abattu !

Te voilà sous les pieds des envieux sans nombre

Et des passants rieurs

Toi dont le front superbe accoutumait à l’ombre

Les fronts inférieurs !

Ta feuille est dans la poudre, et ta racine austère

Est découverte aux yeux.

Hélas ! tu n’as plus rien d’abrité dans la terre

Ni d’éclos dans les cieux !

Jeune homme, on vénérait jadis ton œil sévère,

Ton front calme et tonnant ;

Ton nom était de ceux qu’on craint et qu’on révère,

Hélas ! et maintenant

Les méchants, accourus pour déchirer ta vie,

L’ont prise entre leurs dents,

Et les hommes alors se sont avec envie

Penchés pour voir dedans !

Avec des cris de joie ils ont compté tes plaies

Et compté tes douleurs,

Comme sur une pierre on compte des monnaies

Dans l’antre des voleurs.

Ta chaste renommée, aux exemples utiles,

N’a plus rien qui reluit,

Sillonnée en tous sens par les hideux reptiles

Qui viennent dans la nuit.

Eclairée à la flamme, à toute heure visible,

De ton nom rayonnant,

Au bord du grand chemin, ta vie est une cible

Offerte à tout venant

Où cent flèches, toujours sifflant dans la nuit noire,

S’enfoncent tour à tour,

Chacun cherchant ton cœur, l’un visant à ta gloire

Et l’autre à ton amour !

Ta réputation, dont souvent nous nous sommes

Ecriés en rêvant,

Se disperse et s’en va dans les discours des hommes,

Comme un feuillage au vent !

Ton âme, qu’autrefois on prenait pour arbitre

Du droit et du devoir,

Est comme une taverne où chacun à la vitre

Vient regarder le soir,

Afin d’y voir à table une orgie aux chants grêles,

Au propos triste et vain,

Qui renverse à grand bruit les cœurs pleins de querelles

Et les brocs pleins de vin !

Tes ennemis ont pris ta belle destinée

Et l’ont brisée en fleur.

Ils ont fait de ta gloire aux carrefours traînée

Ta plus grande douleur !

Leurs mains ont retourné ta robe, dont le lustre

Irritait leur fureur ;

Avec la même pourpre ils t’ont fait vil d’illustre,

Et forçat d’empereur !

Nul ne te défend plus. On se fait une fête

De tes maux aggravés.

On ne parle de toi qu’en secouant la tête,

Et l’on dit : Vous savez !

Hélas ! pour te haïr tous les cœurs se rencontrent.

Tous t’ont abandonné.

Et tes amis pensifs sont comme ceux qui montrent

Un palais ruiné.

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