II

Mais va, pour qui comprend ton âme haute et grave,

Tu n’en es que plus grand.

Ta vie a, maintenant que l’obstacle l’entrave,

La rumeur du torrent.

Tous ceux qui de tes jours orageux et sublimes

S’approchent sans effroi

Reviennent en disant qu’ils ont vu des abîmes

En se penchant sur toi !

Mais peut-être, à travers l’eau de ce gouffre immense

Et de ce cœur profond,

On verrait cette perle appelée innocence,

En regardant au fond !

On s’arrête aux brouillards dont ton âme est voilée,

Mais moi, juge et témoin,

Je sais qu’on trouverait une voûte étoilée

Si l’on allait plus loin !

Et qu’importe, après tout, que le monde t’assiège

De ses discours mouvants,

Et que ton nom se mêle à ces flocons de neige

Poussés à tous les vents !

D’ailleurs que savent-ils ? Nous devrions nous taire.

De quel droit jugeons-nous ?

Nous qui ne voyons rien au ciel ou sur la terre

Sans nous mettre à genoux !

La certitude - hélas ! insensés que nous sommes

De croire à l’œil humain ! -

Ne séjourne pas plus dans la raison des hommes

Que l’onde dans leur main.

Elle mouille un moment, puis s’écoule infidèle,

Sans que l’homme, ô douleur !

Puisse désaltérer à ce qui reste d’elle

Ses lèvres ou son cœur !

L’apparence de tout nous trompe et nous fascine.

Est-il jour ? Est-il nuit ?

Rien d’absolu. Tout fruit contient une racine,

Toute racine un fruit.

Le même objet qui rend votre visage sombre

Fait ma sérénité.

Toute chose ici-bas par une face est ombre

Et par l’autre clarté.

Le lourd nuage, effroi des matelots livides

Sur le pont accroupis,

Pour le brun laboureur dont les champs sont arides

Est un sac plein d’épis !

Pour juger un destin il en faudrait connaître

Le fond mystérieux ;

Ce qui gît dans la frange aura bientôt peut-être

Des ailes dans les cieux !

Cette âme se transforme, elle est tout près d’éclore,

Elle rampe, elle attend,

Aujourd’hui larve informe, et demain dès l’aurore

Papillon éclatant !

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