IV

Console-toi, poète ! — Un jour, bientôt peut-être,

Les cœurs te reviendront,

Et pour tous les regards on verra reparaître

Les flammes de ton front.

Tous les côté ternis par ta gloire outragée,

Nettoyés un matin,

Seront comme une dalle avec soin épongée

Après un grand festin.

En vain tes ennemis auront armé le monde

De leur rire moqueur,

Et sur les grands chemins répandu comme l’onde

Les secrets de ton cœur.

En vain ils jetteront leur rage humiliée

Sur ton nom ravagé.

Comme un chien qui remâche une chair oubliée

Sur l’os déjà rongé.

Ils ne prévaudront pas, ces hommes qui t’entourent

De leurs obscurs réseaux

Ils passeront ainsi que ces lueurs qui courent

A travers les roseaux.

Ils auront bien toujours pour toi toute la haine

Des démons pour le Dieu ;

Mais un souffle éteindra leur bouche impure pleine

De parole de feu.

Ils s’évanouiront, et la foule et ravie

Verra, d’un œil pieux,

Sortir de ce tas d’ombre amassé par l’envie

Ton front majestueux !

En attendant, regarde en pitié cette foule

Qui méconnaît tes chants,

Et qui de toutes parts se répand et s’écoule

Dans les mauvais penchant.

Laisse en ce noir chaos qu’aucun rayon n’éclaire

Ramper les ignorants ;

L’orgueilleux dont la voix grossit dans la colère

Comme l’eau des torrents ;

La beauté sans amour dont les pats nous entraîne,

Femme aux yeux exercés

Dont la robe flottante est un piège ou se prennent

Les pieds insensés ;

Les rhéteurs qui de bruit emplissent leur parole

Quand nous les écoutons ;

Et ces hommes sans foi, sans culte, sans boussole,

Qui vivent à tâtons ;

Et les flatteurs courbés, aux douceurs familières,

Aux fronts bas et rampants ;

Et les ambitieux qui sont comme des lierres

L’un sur l’autre grimpants !

Non, tu ne portes pas, ami, la même chaîne

Que ces hommes d’un jour.

Ils sont vils, et toi grand. Leur joug est fait de haine,

Le tien est fait d’amour !

Tu n’as rien de commun avec le monde infime

Au souffle empoisonneur ;

Car c’est pour tous les yeux un spectacle sublime

Quand la main du Seigneur

Loin du sentier banal où la foule se rue

Sur quelque illusion,

Laboure le génie avec cette charrue

Qu’on nomme passion ! »

Et quand il eut fini, toi que la haine abreuve,

Tu lui dis d’une voix attendrie un instant,

Voix pareille à la sienne et plus haute pourtant,

Comme la grande mer qui parlerait au fleuve ;

« Ne me console point et ne t’afflige pas.

Je suis calme et paisible.

Je ne regarde point le monde d’ici-bas,

Mais le monde invisible.

Les hommes sont meilleurs, ami, que tu ne crois.

Mais le sort est sévère.

C’est lui qui teint de vin ou de lie à son choix

Le pur cristal du verre.

Moi, je rêve ! écoutant le cyprès soupirer

Autour des croix d’ébène,

Et murmurer le fleuve et la cloche pleurer

Dans un coin de la plaine,

Recueillant le cri sourd de l’oiseau qui s’enfuit,

Du char traînant la gerbe

Et la plainte qui sort des roseaux, et le bruit

Que fait la touffe d’herbe,

Prêtant l’oreille aux flots qui ne peuvent dormir,

A l’air dans la nuée,

J’erre sur les hauts lieux d’ou l’on entend gémir

Toute chose crée !

Là, je vois, comme un vase allumé sur l’autel,

Le toit lointain qui fume ;

Et le soir je compare aux purs flambeaux du ciel

Tout flambeau qui s’allume.

Là j’abandonne aux vents mon esprit sérieux,

Comme l’oiseau sa plume ;

Là, je songe au malheur de l’homme, et j’entends mieux

Le bruit de cette enclume,

Là, je contemple, ému, tout ce qui s’offre aux yeux,

Onde, terre, verdure ;

Et je vois l’homme au loin, mage mystérieux,

Traverser la nature !

Pourquoi me plaindre, ami ? Tout homme à tout

Souffre des maux sans nombre. [moment

Moi, sur qui vient la nuit, j’ai gardé seulement

Dans mon horizon sombre,

Comme un rayon du soir au front d’un mont obscur,

L’amour, divine flamme,

L’amour, qui dore encor ce que j’ai de plus pur

Et de plus haut dans l’âme !

Sans doute en mon avril, ne sachant rien à fond,

Jeune, crédule, austère,

J’ai fait des songes d’or comme tous ceux qui font

Des songes sur la terre !

J’ai vu la vie en fleur sur mon front s’élever

Pleine de douces choses.

Mais quoi ! me crois-tu assez fou pour rêver

L’éternité des roses ?

Les chimères, qu’enfant mes mains croyaient toucher,

Maintenant sont absentes ;

Et je dis au bonheur ce que dit le nocher

Aux rives décroissantes.

Qu’importe ! je m’abrite en un calme profond,

Plaignant surtout les femmes ;

Et je vis l’œil fixé sur le ciel où s’en vont

Les ailes et les âmes.

Dieu nous donne à chacun notre part du destin,

Au fort, au faible, au lâche,

Comme un maître soigneux levé dès le matin

Divise à tous leur tâche.

Soyons grands. Le grand cœur à Dieu même est pareil.

Laissons, doux ou funestes,

Se croiser sur nos pieds la foudre et le soleil,

Ces deux clartés célestes.

Laissons gronder en bas cet orage irrité

Qui toujours nous assiège ;

Et gardons au-dessus notre tranquillité,

Comme le mont sa neige.

Va, nul mortel ne brise avec la passion,

Vainement obstinée,

Cette âpre loi que l’un nomme Expiation

Et l’autre Destinée.

Hélas ! de quelque nom que, broyé sous l’essieu,

L’orgueil humain la nomme,

Roue immense et fatale, elle tourne sur Dieu,

Elle roule sur l’homme ! »

15 octobre 1837

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