I

Soyez tranquilles, l’histoire le tient.

Du reste, si ceci flatte l’amour-propre de M. Bonaparte d’être saisi par l’histoire, s’il a par hasard, et vraiment on le croirait, sur sa valeur comme scélérat politique, une illusion dans l’esprit, qu’il se l’ôte.

Qu’il n’aille pas s’imaginer, parce qu’il a entassé horreurs sur horreurs, qu’il se hissera jamais à la hauteur des grands bandits historiques. Nous avons eu tort peut-être, dans quelques pages de ce livre, çà et là, de le rapprocher de ces hommes. Non, quoiqu’il ait commis des crimes énormes, il restera mesquin. Il ne sera jamais que l’étrangleur nocturne de la liberté ; il ne sera jamais que l’homme qui a soûlé les soldats, non avec de la gloire, comme le premier Napoléon, mais avec du vin ; il ne sera jamais que le tyran-pygmée d’un grand peuple. L’acabit de l’individu se refuse de fond en comble à la grandeur, même dans l’infamie. Dictateur, il est bouffon ; qu’il se fasse empereur, il sera grotesque. Ceci l’achèvera. Faire hausser les épaules au genre humain, ce sera sa destinée. Sera-t-il moins rudement corrigé pour cela ? Point. Le dédain n’ôte rien à la colère ; il sera hideux, et il restera ridicule. Voilà tout. L’histoire rit et foudroie.

Les plus indignés même ne le tireront point de là. Les grands penseurs se plaisent à châtier les grands despotes, et quelquefois même les grandissent un peu pour les rendre dignes de leur furie ; mais que voulez-vous que l’historien fasse de ce personnage ?

L’historien ne pourra que le mener à la postérité par l’oreille.

L’homme une fois déshabillé du succès, le piédestal ôté, la poussière tombée, le clinquant et l’oripeau et le grand sabre détachés, le pauvre petit squelette mis à nu et grelottant, peut-on s’imaginer rien de plus chétif et de plus piteux ?

L’histoire a ses tigres. Les historiens, gardiens immortels d’animaux féroces, montrent aux nations cette ménagerie impériale. Tacite à lui seul, ce grand belluaire, a pris et enfermé huit ou dix de ces tigres dans les cages de fer de son style. Regardez-les, ils sont épouvantables et superbes ; leurs taches font partie de leur beauté. Celui-ci, c’est Nemrod, le chasseur d’hommes ; celui-ci, c’est Busiris, le tyran d’Égypte ; celui-ci, c’est Phalaris, qui faisait cuire des hommes vivants dans un taureau d’airain, afin de faire mugir le taureau ; celui-ci, c’est Assuérus qui arracha la peau de la tête aux sept Macchabées et les fit rôtir vifs ; celui-ci, c’est Néron, le brûleur de Rome, qui enduisait les chrétiens de cire et de bitume et les allumait comme des flambeaux ; celui-ci, c’est Tibère, l’homme de Caprée ; celui-ci, c’est Domitien ; celui-ci, c’est Caracalla ; celui-ci, c’est Héliogabale ; cet autre, c’est Commode, qui a ce mérite de plus dans l’horreur qu’il était le fils de Marc-Aurèle ; ceux-ci sont des czars ; ceux-ci sont des sultans ; ceux-ci sont des papes ; remarquez parmi eux le tigre Borgia ; voici Philippe dit le Bon, comme les furies étaient dites Euménides ; voici Richard III, sinistre et difforme ; voici, avec sa large face et son gros ventre, Henri VIII, qui sur cinq femmes qu’il eut en tua trois dont il éventra une ; voici Christiern II, le Néron du nord ; voici Philippe II, le Démon du midi. Ils sont effrayants ; écoutez-les rugir, considérez-les l’un après l’autre ; l’historien vous les amène, l’historien les traîne, furieux et terribles, au bord de la cage, vous ouvre les gueules, vous fait voir les dents, vous montre les griffes ; vous pouvez dire de chacun d’eux : c’est un tigre royal. En effet, ils ont été pris sur tous les trônes. L’histoire les promène à travers les siècles. Elle empêche qu’ils ne meurent ; elle en a soin. Ce sont ses tigres.

Elle ne mêle pas avec eux les chacals.

Elle met et garde à part les bêtes immondes. M. Bonaparte sera, avec Claude, avec Ferdinand VII d’Espagne, avec Ferdinand II de Naples, dans la cage des hyènes.

C’est un peu un brigand et beaucoup un coquin. On sent toujours en lui le pauvre prince d’industrie qui vivait d’expédients en Angleterre ; sa prospérité actuelle, son triomphe et son empire et son gonflement n’y font rien ; ce manteau de pourpre traîne sur des bottes éculées. Napoléon le Petit ; rien de plus, rien de moins. Le titre de ce livre est bon.

La bassesse de ses vices nuit à la grandeur de ses crimes. Que voulez-vous ? Pierre le Cruel massacrait, mais ne volait pas ; Henri III assassinait, mais n’escroquait pas. Timour écrasait les enfants aux pieds des chevaux, à peu près comme M. Bonaparte a exterminé les femmes et les vieillards sur le boulevard, mais il ne mentait pas. Écoutez l’historien arabe : « Timour-Beig, sahebkeran (maître du monde et du siècle, maître des conjonctions planétaires), naquit à Kesch en 1336 ; il égorgea cent mille captifs ; comme il assiégeait Siwas, les habitants, pour le fléchir, lui envoyèrent mille petits enfants portant chacun un koran sur leur tête et criant : Allah ! Allah ! Il fit enlever les livres sacrés avec respect et écraser les enfants sous les pieds des chevaux ; il employa soixante-dix mille têtes humaines, avec du ciment, de la pierre et de la brique, à bâtir des tours à Hérat, à Sebzvar, à Tékrit, à Alep, à Bagdad ; il détestait le mensonge ; quand il avait donné sa parole, on pouvait s’y fier. »

M. Bonaparte n’est point de cette stature. Il n’a pas cette dignité que les grands despotes d’Orient et d’Occident mêlent à la férocité. L’ampleur césarienne lui manque. Pour faire bonne contenance et avoir mine convenable parmi tous ces bourreaux illustres qui ont torturé l’humanité depuis quatre mille ans, il ne faut pas faire hésiter l’esprit entre un général de division et un batteur de grosse caisse des Champs-Élysées ; il ne faut pas avoir été policeman à Londres ; il ne faut pas avoir essuyé, les yeux baissés, en pleine cour des pairs, les mépris hautains de M. Magnan ; il ne faut pas être appelé pick-pocket par les journaux anglais ; il ne faut pas être menacé de Clichy ; il ne faut pas, en un mot, qu’il y ait du faquin dans l’homme.

Monsieur Louis-Napoléon, vous êtes ambitieux, vous visez haut, mais il faut bien vous dire la vérité. Eh bien, que voulez-vous que nous y fassions ? Vous avez eu beau, en renversant la tribune de France, réaliser à votre manière le vœu de Caligula : je voudrais que le genre humain n’eût qu’une tête pour le pouvoir décapiter d’un coup ; vous avez eu beau bannir par milliers les républicains, comme Philippe III expulsait les Maures et comme Torquemada chassait les Juifs ; vous avez beau avoir des casemates comme Pierre le Cruel, des pontons comme Hariadan, des dragonnades comme le père Letellier, et des oubliettes comme Ezzelin III ; vous avez beau vous être parjuré comme Ludovic Sforce ; vous avez beau avoir massacré et assassiné en masse comme Charles IX ; vous avez beau avoir fait tout cela ; vous avez beau faire venir tous ces noms à l’esprit quand on songe à votre nom, vous n’êtes qu’un drôle. N’est pas un monstre qui veut.

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