BALLADE QUATRIÈME. À TRILBY, LE LUTIN D’ARGAIL.

À vous, ombre légère,

Qui d’aile passagère

Par le monde volez,

Et d’un sifflant murmure

L’ombrageuse verdure

Doucement esbranlez,

J’offre ces violettes,

Ces lys et ces fleurettes,

Et ces roses ici,

Ces vermeillettes roses.

Tout fraischement escloses

Et ces œillets aussi.

Vieille chanson.

C’est toi, lutin ! — Qui t’amène ?

Sur ce rayon du couchant

Es-tu venu ? Ton haleine

Me caresse en me touchant !

À mes yeux tu te révèles.

Tu m’inondes d’étincelles !

Et tes frémissantes ailes

Ont un bruit doux comme un chant !

Ta voix, de soupirs mêlée,

M’apporte un accent connu.

Dans ma cellule isolée,

Beau Trilby, sois bienvenu !

Ma demeure hospitalière

N’a point d’humble batelière

Dont ta bouche familière

Baise le sein demi-nu !

Viens-tu, dans l’âtre perfide,

Chercher mon Follet qui fuit,

Et ma Fée, et ma Sylphide,

Qui me visitent sans bruit,

Et m’apportent, empressées,

Sur leurs ailes nuancées,

Le jour de douces pensées,

Et de doux rêves la nuit !

Viens-tu pas voir mes Ondines

Ceintes d’algue et de glaïeul ?

Mes Nains, dont les voix badines

N’osent parler qu’à moi seul ?

Viens-tu réveiller mes Gnômes,

Poursuivre en l’air les atomes,

Et lutiner mes Fantômes

En jouant dans leur linceul ?

Hélas ! fuis !… Ces lieux que j’aime

N’ont plus ces hôtes chéris !

Des cruels à l’anathème

Ont livré tous mes Esprits !

Mon Ondine est étouffée ;

Et, comme un double trophée,

Leurs mains ont cloué ma Fée

Près de ma Chauve-Souris !

Mes Spectres, mes Nains si frêles,

Quand leur courroux gronde encor,

N’osent plus sur les tourelles

S’appeler au son du cor ;

Ma cour magique, en alarmes,

A fui leurs pesantes armes ;

Ils ont de mon Sylphe en larmes

Arraché les ailes d’or !

Toi-même, crains leur tonnerre,

Crains un combat inégal

Plus que la voix centenaire

Qui jadis vengea Dougal,

Dont la cabane fumeuse

Voit, durant la nuit brumeuse,

Sur une roche écumeuse,

S’asseoir l’ombre de Fingal !

Celui qui de ta montagne

T’a rapporté dans nos champs,

Eut comme toi pour compagne

L’Espérance aux vœux touchants.

Longtemps la France, sa mère,

Vit fuir sa jeunesse amère

Dans l’exil, où, comme Homère,

Il n’emportait que ses chants !

À la fois triste et sublime,

Grave en son vol gracieux,

Le poëte aime l’abîme

Où fuit l’aigle audacieux,

Le parfum des fleurs mourantes,

L’or des comètes errantes,

Et les cloches murmurantes

Qui se plaignent dans les cieux !

aime un désert sauvage

Où rien ne borne ses pas ;

Son cœur, pour fuir l’esclavage,

Vit plus loin que le trépas.

Quand l’opprimé le réclame,

Des peuples il devient l’âme ;

Il est pour eux une flamme

Que le tyran n’éteint pas !

Tel est Nodier, le poëte ! —

Va, dis à ce noble ami

Que ma tendresse inquiète

De tes périls a frémi ;

Dis-lui bien qu’il te surveille ;

De tes jeux charme sa veille,

Enfant ! Et lorsqu’il sommeille,

Dors sur son front endormi !

N’erre pas à l’aventure !

Car on en veut aux Trilbys.

Crains les maux et la torture

Que mon doux Sylphe a subis.

S’ils te prenaient, quelle gloire !

Ils souilleraient d’encre noire,

Hélas ! ton manteau de moire,

Ton aigrette de rubis !

Ou, pour danser avec Faune,

Contraignant tes pas tremblants,

Leurs Satyres au pied jaune,

Leurs vieux Sylvains pétulants

Joindraient tes mains enchaînées

Aux vieilles mains décharnées

De leurs Naïades fanées,

Mortes depuis deux mille ans !

8-10 avril 1825.

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