BALLADE TROISIÈME. LA GRAND’MÈRE

To die — to sleep.
Shakespeare

« Dors-tu ?… réveille-toi, mère de notre mère !

D’ordinaire en dormant ta bouche remuait ;

Car ton sommeil souvent ressemble à ta prière.

Mais, ce soir, on dirait la madone de pierre ;

Ta lèvre est immobile et ton souffle est muet.

« Pourquoi courber ton front plus bas que de coutume ?

Quel mal avons-nous fait, pour ne plus nous chérir ?

Vois, la lampe pâlit, l’âtre scintille et fume ;

Si tu ne parles pas, le feu qui se consume,

Et la lampe, et nous deux, nous allons tous mourir !

« Tu nous trouveras morts près de la lampe éteinte.

Alors, que diras-tu quand tu t’éveilleras ?

Tes enfants à leur tour seront sourds à ta plainte.

Pour nous rendre la vie, en invoquant ta sainte,

Il faudra bien longtemps nous serrer dans tes bras !

« Donne-nous donc tes mains dans nos mains réchauffées.

Chante-nous quelque chant de pauvre troubadour.

Dis-nous ces chevaliers qui, servis par les fées,

Pour bouquets à leur dame apportaient des trophées,

Et dont le cri de guerre était un nom d’amour.

« Dis-nous quel divin signe est funeste aux fantômes ;

Quel ermite dans l’air vit Lucifer volant ;

Quel rubis étincelle au front du roi des gnômes ;

Et si le noir démon craint plus, dans ses royaumes,

Les psaumes de Turpin que le fer de Roland.

« Ou montre nous ta bible, et les belles images,

Le ciel d’or, les saints bleus, les saintes à genoux,

L’enfant-Jésus, la crèche, et le bœuf, et les mages ;

Fais-nous lire du doigt, dans le milieu des pages,

Un peu de ce latin, qui parle à Dieu de nous.

« Mère !… — Hélas ! par degrés s’affaisse la lumière,

L’ombre joyeuse danse autour du noir foyer,

Les esprits vont peut-être entrer dans la chaumière…

Oh ! sors de ton sommeil, interromps ta prière ;

Toi qui nous rassurais, veux-tu nous effrayer ?

« Dieu ! que tes bras sont froids ! rouvre les yeux… Naguère

Tu nous parlais d’un monde, où nous mènent nos pas,

Et de ciel, et de tombe, et de vie éphémère,

Tu parlais de la mort… dis-nous, ô notre mère,

Qu’est-ce donc que la mort ?… — Tu ne nous réponds pas ! »

Leur gémissante voix longtemps se plaignit seule.

La jeune aube parut sans réveiller l’aïeule.

La cloche frappa l’air de ses funèbres coups ;

Et, le soir, un passant, par la porte entr’ouverte,

Vit, devant le saint livre et la couche déserte,

Les deux petits enfants qui priaient à genoux.

1823.

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