BALLADE ONZIÈME. LA CHASSE DU BURGRAVE.


Un vieux faune en riait dans sa grotte sauvage.
Segrais.

« Daigne protéger notre chasse,

Châsse

De monseigneur saint-Godefroi,

Roi !

« Si tu fais ce que je désire,

Sire,

Nous t’édifierons un tombeau,

Beau ;

« Puis je te donne un cor d’ivoire,

Voire

Un dais neuf à pans de velours,

Lourds,

« Avec dix chandelles de cire,

Sire !

Donc, te prions à deux genoux,

Nous,

« Nous qui, né de bons gentilshommes,

Sommes

Le seigneur burgrave Alexis

Six. »

Voilà ce que dit le burgrave,

Grave,

Au tombeau de saint-Godefroi,

Froid.

« Mon page, emplis mon escarcelle,

Selle

Mon cheval de Calatrava ;

Va !

« Piqueur, va convier le comte.

Conte

Que ma meute aboie en mes cours.

Cours !

« Archers, mes compagnons de fêtes,

Faites

Votre épieu lisse et vos cornets

Nets.

« Nous ferons ce soir une chère

Chère ;

Vous n’y recevrez, maître-queux,

Qu’eux.

« En chasse, amis ! je vous invite.

Vite !

En chasse ! allons courre les cerfs,

Serfs ! »

Il part, et madame Isabelle,

Belle,

Dit gaiement du haut des remparts :

« Pars ! »

Tous les chasseurs sont dans la plaine,

Pleine

D’ardents seigneurs, de sénéchaux

Chauds.

 

Ce ne sont que baillis et prêtres,

Reîtres

Qui savent traquer à pas lourds

L’ours,

Dames en brillants équipages,

Pages,

Fauconniers, clercs, et peu bénins

Nains.

En chasse ! — Le maître en personne

Sonne.

Fuyez ! voici les paladins,

Daims.

Il n’est pour vous comte d’empire

Pire

Que le vieux burgrave Alexis

Six !

Fuyez ! — Mais un cerf dans l’espace

Passe,

Et disparaît comme l’éclair.

Clair !

« Taïaut les chiens, taïaut les hommes !

Sommes

D’argent et d’or paieront sa chair

Cher !

« Mon château pour ce cerf ! — Marraine,

Reine

Des beaux sylphes et des follets

Laids !

« Donne-moi son bois pour trophée,

Fée !

Mère du brave, et du chasseur

Sœur !

« Tout ce qu’un prêtre à sa madone

Donne,

Moi, je te le promets ici,

Si

« Notre main, ta serve et sujette,

Jette

Ce beau cerf qui s’enfuit là-bas

Bas ! »

 

Du Chasseur Noir craignant l’injure,

Jure

Le vieux burgrave haletant,

Tant

Que déjà sa meute qui jappe

Happe,

Et fête le pauvre animal

Mal.

Il fuit. La bande malévole

Vole

Sur sa trace, et par le plus court

Court.

Adieu clos, plaines diaprées,

Prées,

Vergers fleuris, jardins sablés,

Blés !

Le cerf, s’échappant de plus belle,

Bêle ;

Un bois à sa course est ouvert,

Vert.

Il entend venir sur ses traces

Races

De chiens dont vous seriez jaloux,

Loups ;

Piqueurs, ardentes haquenées,

Nées

De ces étalons aux longs crins

Craints,

Leurs flancs, que de blancs harnois ceignent,

Saignent

Des coups fréquents des éperons

Prompts.

Le cerf, que le son de la trompe

Trompe,

Se jette dans les bois épais…

Paix !

Hélas, en vain !… la meute cherche,

Cherche,

Et là tu retentis encor,

Cor !

Où fuir ? dans le lac ! Il s’y plonge,

Longe

Le bord où maint buisson rampant

Pend.

Ah ! dans les eaux du lac agreste

Reste !

Hélas ! pauvre cerf aux abois,

Bois !

Contre toi la fanfare ameute

Meute,

Et veneurs sonnant du hautbois…

Bois !

Les archers sournois qui t’attendent

Tendent

Leurs arcs dans l’épaisseur du bois !…

Bois !

Ils sont avides de carnage ;

Nage !

C’est ton seul espoir désormais ;

Mais

L’essaim, que sa chair palpitante

Tente,

Après lui dans le lac profond

Fond.

Il sort ! — Plus d’espoir qui te leurre !

L’heure

Vient où pour toi tout est fini.

Ni

Tes pieds vifs, ni Saint Marc de Leyde,

L’aide

Du cerf qu’un chien, à demi mort,

Mord,

Ne te sauveront des morsures

Sûres

Des limiers ardents de courroux,

Roux.

Vois ces chiens qu’un serf bas et lâche

Lâche,

Vois les épieux à férir prêts,

Près !

Meurs donc ! la fanfare méchante

Chante

Ta chute au milieu des clameurs.

Meurs !

Et ce soir, sur les délectables

Tables,

Tu feras un excellent mets ;

Mais

On t’a vengé. — Fille d’Autriche

Triche

Quand l’hymen lui donne un barbon

Bon.

Or, sans son hôte le bon comte

Compte.

Il revient, quoique fatigué,

Gai.

Et, tandis que ton sang ruisselle,

Celle

Qu’épousa le comte Alexis

Six,

Sur le front ride du burgrave

Grave,

Pauvre cerf, des rameaux aussi ;

Si

Qu’au burg vous rentrez à la brune,

Brune,

Après un jour si hasardeux,

Deux !

Janvier 1828.

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