BALLADE DOUZIÈME. LE PAS D’ARMES DU ROI JEAN.

Plus de six cents lances y furent brisées ; on se battit à pied et à cheval, à la barrière, à coups d’épée et de pique, où partout les tenants et les assaillants ne firent rien qui ne répondît à la haute estime qu’ils s’étaient déjà acquise ; ce qui fit éclater ces tournois doublement. Enfin, au dernier, un gentilhomme nommé de Fontaines, beau-frère de Chandiou, grand prévôt des maréchaux, fut blessé à mort ; et au second encore, Saint-Aubin, autre gentilhomme, fut tué d’un coup de lance.

Ancienne chronique.

Çà, qu’on selle,

Écuyer,

Mon fidèle

Destrier.

Mon cœur ploie

Sous la joie,

Quand je broie

L’étrier.

Par saint-Gille,

Viens-nous-en,

Mon agile

Alezan ;

Viens, écoute,

Par la route,

Voir la joute

Du roi Jean.

Qu’un gros carme

Chartrier

Ait pour arme

L’encrier ;

Qu’une fille,

Sous la grille,

S’égosille

À prier ;

 

Nous qui sommes,

De par Dieu,

Gentilshommes

De haut lieu,

Il faut faire

Bruit sur terre,

Et la guerre

N’est qu’un jeu.

Ma vieille âme

Enrageait ;

Car ma lame,

Que rongeait

Cette rouille

Qui la souille,

En quenouille

Se changeait.

 

Cette ville,

Aux longs cris,

Qui profile

Son front gris,

Des toits frêles,

Cent tourelles,

Clochers grêles,

C’est Paris !

Quelle foule,

Par mon sceau !

Qui s’écoule

En ruisseau,

Et se rue,

Incongrue,

Par la rue

Saint-Marceau.

Notre-Dame !

Que c’est beau !

Sur mon âme

De corbeau,

Voudrais être

Clerc ou prêtre

Pour y mettre

Mon tombeau !

Les quadrilles,

Les chansons

Mêlent filles

Aux garçons.

Quelles fêtes !

Que de têtes

Sur les faîtes

Des maisons !

Un maroufle,

Mis à neuf,

Joue et souffle

Comme un bœuf

Une marche

De Luzarche

Sur chaque arche

Du Pont-Neuf.

Le vieux Louvre !

Large et lourd,

Il ne s’ouvre

Qu’au grand jour,

Emprisonne

La couronne,

Et bourdonne

Dans sa tour.

Los aux dames !

Au roi los !

Vois les flammes

Du champ clos,

Où la foule,

Qui s’écroule,

Hurle et roule

À grands flots.

Sans attendre,

Çà, piquons !

L’œil bien tendre,

Attaquons

De nos selles

Les donzelles,

Roses, belles,

Aux balcons.

Saulx-Tavane

Le ribaud

Se pavane,

Et Chabot

Qui ferraille,

Bossu, raille

Mons Fontraille

Le pied-bot.

Là-bas, Serge

Qui fit vœu

D’aller vierge

Au saint lieu ;

Là, Lothaire,

Duc sans terre ;

Sauveterre,

Diable et dieu.

Le vidame

De Conflans

Suit sa dame

À pas lents,

Et plus d’une

S’importune

De la brune

Aux bras blancs.

Là-haut brille,

Sur ce mur,

Yseult, fille

Au front pur ;

Là-bas, seules,

Force aïeules

Portant gueules

Sur azur.

Dans la lice,

Vois encor

Berthe, Alice,

Léonor,

Dame Irène,

Ta marraine,

Et la reine

Toute en or.

Dame Irène

Parle ainsi :

« Quoi ! la reine

Triste ici ! »

Son altesse

Dit : « Comtesse,

J’ai tristesse

Et souci. »

On commence.

Le beffroi !

Coups de lance,

Cris d’effroi !

On se forge,

On s’égorge,

Par saint-George !

Par le roi !

La cohue,

Flot de fer,

Frappe, hue,

Remplit l’air.

Et, profonde,

Tourne et gronde,

Comme une onde

Sur la mer.

Dans la plaine

Un éclair

Se promène

Vaste et clair ;

Quels mélanges !

Sang et franges !

Plaisirs d’anges !

Bruit d’enfer !

Sus, ma bête,

De façon

Que je fête

Ce grison !

Je te baille

Pour ripaille

Plus de paille,

Plus de son,

Qu’un gros frère,

Gai, friand,

Ne peut faire,

Mendiant

Par les places

Où tu passes,

De grimaces

En priant !

Dans l’orage,

Lys courbé,

Un beau page

Est tombé.

Il se pâme,

Il rend l’âme ;

Il réclame

Un abbé.

La fanfare

Aux sons d’or,

Qui t’effare,

Sonne encor

Pour sa chute ;

Triste lutte

De la flûte

Et du cor !

Moines, vierges,

Porteront

De grands cierges

Sur son front ;

Et, dans l’ombre

Du lieu sombre,

Deux yeux d’ombre

Pleureront.

Car madame

Isabeau

Suit son âme

Au tombeau.

Que d’alarmes !

Que de larmes !…

Un pas d’armes,

C’est très beau !

Çà, mon frère,

Viens, rentrons

Dans notre aire

De barons.

Va plus vite,

Car au gîte

Qui t’invite,

Trouverons,

Toi, l’avoine

Du matin,

Moi, le moine

Augustin,

Ce saint homme

Suivant Rome,

Qui m’assomme

De latin,

Et rédige

En romain

Tout prodige

De ma main,

Qu’à ma charge

Il émarge

Sur un large

Parchemin.

Un vrai sire

Châtelain

Laisse écrire

Le vilain ;

Sa main digne,

Quand il signe,

Égratigne

Le vélin.

24-26 juin 1828

À M. LOUIS BOULANGER.

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