L’Occident nébuleux est ma patrie heureuse.
Là, variant dans l’air sa forme vaporeuse,
Fuit la blanche nuée, — et de loin, bien souvent,
Le mortel isolé qui, radieux ou sombre,
Poursuit un songe ou pleure une ombre,
Assis, la contemple en rêvant !
Car il est des douceurs pour les âmes blessées
Dans les brumes du lac sur nos bois balancées,
Dans nos monts où l’hiver semble à jamais s’asseoir,
Dans l’étoile, pareille à l’espoir solitaire,
Qui vient, quand le jour fuit la terre,
Mêler son orient au soir.
Nos cieux voilés plairont à ta douleur amère,
Enfant que Dieu retire et qui pleures ta mère !
Viens, l’écho des vallons, les soupirs du ruisseau,
Et la voix des forêts au bruit des vents unie,
Te rendront la vague harmonie
Qui t’endormait dans ton berceau.
Crains des bleus horizons le cercle monotone.
Les brouillards, les vapeurs, le nuage qui tonne,
Tempèrent le soleil dans nos cieux parvenu ;
Et l’œil voit au loin fuir leurs lignes nébuleuses,
Comme des flottes merveilleuses
Qui viennent d’un monde inconnu.
C’est pour moi que les vents font, sur nos mers bruyantes,
Tournoyer l’air et l’onde en trombes foudroyantes ;
La tempête à mes chants suspend son vol fatal ;
L’arc-en-ciel pour mes pieds, qu’un or fluide arrose,
Comme un pont de nacre, se pose
Sur les cascades de cristal.
Du moresque Alhambra j’ai les frêles portiques ;
J’ai la grotte enchantée aux piliers basaltiques,
Où la mer de Staffa brise un flot inégal ;
Et j’aide le pêcheur, roi des vagues brumeuses,
À bâtir ses huttes fumeuses
Sur les vieux palais de Fingal.
Épouvantant les nuits d’une trompeuse aurore,
Là, souvent à ma voix un rouge météore
Croise en voûte de feu ses gerbes dans les airs ;
Et le chasseur, debout sur la roche pendante,
Croit voir une comète ardente
Baignant ses flammes dans les mers.
Viens, jeune âme, avec moi, de mes sœurs obéie,
Peupler de gais follets la morose abbaye ;
Mes nains et mes géants te suivront à ma voix ;
Viens, troublant de ton cor les monts inaccessibles,
Guider ces meutes invisibles
Qui, la nuit, chassent dans nos bois.
Tu verras les barons, sous leurs tours féodales,
De l’humble pèlerin détachant les sandales ;
Et les sombres créneaux d’écussons décorés ;
Et la dame tout bas priant, pour un beau page,
Quelque mystérieuse image
Peinte sur des vitraux dorés.
C’est nous qui, visitant les gothiques églises.
Ouvrons leur nef sonore au murmure des brises ;
Quand la lune du tremble argente les rameaux,
Le pâtre voit dans l’air, avec des chants mystiques,
Folâtrer nos chœurs fantastiques
Autour du clocher des hameaux.
De quels enchantements l’Occident se décore ! —
Viens, le ciel est bien loin, ton aile est faible encore !
Oublie en notre empire un voyage fatal.
Un charme s’y révèle aux lieux les plus sauvages ;
Et l’étranger dit nos rivages
Plus doux que le pays natal !