III

« Au delà du Jourdain, après quarante années,

Dieu promit une terre aux enfants d’Israël ;

Au delà de ces flots, après quelques journées,

Le Seigneur vous promet le ciel.

Ces bords ne verront plus vos phalanges errantes ;

Dieu, sur des plaines dévorantes,

Vous prépare un tombeau lointain ;

Votre astre doit s’éteindre, à peine à son aurore ;

Mais Samson expirant peut ébranler encore

Les colonnes du Philistin.

« Vos guerriers périront ; mais, toujours invincibles,

S’ils ne peuvent punir, ils sauront se venger ;

Car ils verront encor fuir ces soldats terribles

Devant qui fuyait l’étranger.

Vous ne mourrez pas tous sous des bras intrépides ;

Les uns, sur des nefs homicides,

Seront jetés aux flots mouvants ;

Ceux-là promèneront des os sans sépulture.

Et cacheront leurs morts sous une terre obscure,

Pour les dérober aux vivants.

« Et vous, ô jeune chef, ravi par la victoire

Aux hasards de Mortagne, aux périls de Saumur,

L’honneur de vous frapper dans un combat sans gloire

Rendra célèbre un bras obscur.

Il ne sera donné qu’à bien peu de nos frères

De revoir, après tant de guerres,

La place où furent leurs foyers ;

Alors, ornant son toit de ses armes oisives,

Chacun d’eux attendra que Dieu donne à nos rives

Les lys, qu’il préfère aux lauriers.

« Vendée, ô noble terre ! ô ma triste patrie !

Tu dois payer bien cher le retour de tes rois !

Avant que sur nos bords croisse la fleur chérie,

Ton sang l’arrosera deux fois.

Mais aussi, lorsqu’un jour l’Europe réunie

De l’arbre de la tyrannie

Aura brisé les rejetons,

Tous les rois vanteront leurs camps, leur flotte immense,

Et, seul, le roi chrétien mettra dans la balance

L’humble glaive des vieux Bretons.

« Grand Dieu ! — Si toutefois, après ces jours d’ivresse,

Blessant le cœur aigri du héros oublié,

Une voix insultante offrait à sa détresse

Les dons ingrats de la pitié ;

Si sa mère, et sa veuve, et sa fille, éplorées,

S’arrêtaient, de faim dévorées,

Au seuil d’un favori puissant,

Rappelant à celui qu’implore leur misère

Qu’elles n’ont plus ce fils, cet époux et ce père

Qui croyait leur léguer son sang ;

« Si, pauvre et délaissé, le citoven fidèle,

Lorsqu’un traître enrichi se rirait de sa foi,

Entendait au sénat calomnier son zèle

Par celui qui jugea son roi ;

Si, pour comble d’affronts, un magistrat injuste,

Déguisant sous un nom auguste

L’abus d’un insolent pouvoir,

Venait, de vils soupçons chargeant sa noble tête,

Lui demander ce fer, sa première conquête, —

Peut-être son dernier espoir ;

« Qu’il se résigne alors. — Par ses crimes prospères

L’impie heureux insulte au fidèle souffrant ;

Mais que le juste pense aux forfaits de nos pères,

Et qu’il songe à son Dieu mourant.

Le Seigneur veut parfois le triomphe du vice ;

Il veut aussi, dans sa justice,

Que l’innocent verse des pleurs ;

Souvent, dans ses desseins, Dieu suit d’étranges voies,

Lui qui livre Satan aux infernales joies,

Et Marie aux saintes douleurs. »

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